Michal SZCZERBA (Pologne)
21 octobre 2021
Ce rapport a été adopté par la commission de l'économie et de la sécurité à la session annuelle de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN à Lisbonne.
À la suite d’une élection présidentielle très controversée en août 2020, et ultérieurement qualifiée de « ni libre ni équitable » par de nombreux observateurs, un vaste mouvement de contestation a balayé le pays. Que l’on en soit venu à considérer ce scrutin comme illégitime n’a pourtant rien de surprenant. Il y a bien longtemps qu’Alexandre Loukachenko garde sa mainmise sur la présidence du pays par la fraude électorale et une répression brutale. Cette fois-ci cependant, l’opposition s’était ralliée autour d’une candidature unique – les autres candidats potentiels ayant été emprisonnés ou contraints à l’exil – et le sentiment général de trahison au sein de la population était devenu palpable.
La crise politique qui s’en est suivie a frappé de plein fouet une société déjà éprouvée par la pandémie de Covid-19 et une crise économique qui, bien que résultant de la crise sanitaire, a également révélé les limites du modèle étatique et centralisé prôné depuis longtemps par M. Loukachenko. Tout semble indiquer que ce modèle n’est plus à même de répondre aux besoins et aux attentes des Bélarussiens, notamment du fait de sa forte dépendance à l’égard des entreprises publiques et des subventions russes, en particulier pour ce qui est de l’énergie importée. Par ailleurs, M. Loukachenko tente depuis longtemps de cultiver dans ce jeune pays la nostalgie du modèle soviétique. Alors que ce modèle complètement archaïque vacille, l’opposition soulève aujourd’hui des questions fondamentales, tant sur l’identité du Bélarus que sur sa future orientation.
Les manifestations se sont poursuivies malgré un durcissement de la répression gouvernementale. Elles ont bénéficié du soutien de larges pans de la société : militants, étudiants, ouvriers, acteurs de la santé, personnalités religieuses, travailleurs dans les fermes collectives et représentants des médias d’État, parmi d’autres. Les femmes y ont joué un rôle particulièrement important en prenant les rênes du mouvement d’opposition et en marchant en tête des manifestations pacifiques.
Le président russe Vladimir Poutine voit dans M. Loukachenko un partenaire difficile. La tension a toujours régné entre les deux hommes, d’autant que le dirigeant du Bélarus s’est longtemps opposé à la réalisation d’un accord sur une union entre les deux États. De fait, ce président illégitime a coutume de jouer au chat et à la souris avec la Russie, cherchant à tirer le maximum de profit d’une étroite collaboration bilatérale sans toutefois vouloir renoncer aux leviers du pouvoir national. Le Kremlin, cependant, commence à abattre ses cartes. Il pousse le dictateur bélarussien, en position de vulnérabilité, à adopter ce qu’il considère comme l’esprit des accords signés dans les années 1990 en vue de la création d’une union entre les deux États. Face à la contestation intérieure montante, M. Loukachenko n’a pas semblé, dans un premier temps, disposé à céder à des exigences russes qui pourraient sérieusement restreindre son autorité sur le pays. Cette tendance est maintenant en passe de s’inverser : M. Loukachenko est devenu très impopulaire et se voit de plus en plus contraint de s’agripper au soutien fourni par la Russie, conséquence de son isolement croissant sur le double plan intérieur et international. Pour sa part, le Kremlin veut un partenaire malléable qui finira par renoncer à des éléments critiques de sa souveraineté au profit d’une illusoire Grande Russie.
La situation au Bélarus a connu un nouveau regain de tension le 22 mai 2021 lorsque les autorités de Minsk ont affirmé mensongèrement que des terroristes avaient placé une bombe sur un vol Athènes-Vilnius de la Ryanair ; l’équipage a reçu l’ordre de poser l’appareil quand ce dernier est entré dans l’espace aérien bélarussien et deux passagers ont été arrêtés : Roman Protassevitch, un blogueur bélarussien dissident de 26 ans qui vit et travaille en Lituanie, et sa compagne, Sofia Sapega, une étudiante de nationalité russe. Ces événements ont conféré au dirigeant illégitime du Bélarus un statut de paria aux yeux de la communauté internationale et entraîné des sanctions qui ont isolé encore plus son gouvernement, fermant l’espace aérien bélarussien au trafic international et interdisant à la compagnie aérienne Belavia l’accès à des aéroports dans le monde entier.
Placé en position de faiblesse, M. Loukachenko intensifie maintenant la coopération militaire avec Moscou : il marque son accord sur l’adoption d’une doctrine militaire plus inspirée par la Russie, la consolidation d’un groupement régional de forces russes et bélarussiennes et l’intégration du système national de défense aérienne avec celui de la Russie, en même temps qu’il consent à son partenaire de nouveaux droits de stationnement sur ses bases militaires. S’ils étaient menés à leur terme, ces développements compliqueraient sérieusement la position défensive adoptée de l’OTAN dans cette partie de l’Europe. La domination du Bélarus par les troupes russes, par exemple, pourrait avoir pour conséquence une augmentation de la présence militaire desdites troupes aux frontières des pays alliés. Cela perturberait gravement l’équilibre militaire régional et compliquerait la défense de ces États de première ligne. L’OTAN devrait procéder à de nouveaux déploiements pour renforcer la dissuasion dans ces nouvelles conditions, plus dangereuses. Si des forces militaires russes sont déployées de façon permanente au Bélarus, la Russie serait théoriquement en mesure de déplacer des unités vers l’enclave de Kaliningrad et de couper l’accès au couloir de Suwałki, seul pont terrestre entre les États baltes et le reste de l’OTAN. Mais les armées des deux pays agissent de plus en plus de conserve et la Russie est peut-être déjà prête à lancer une telle opération. Naturellement, une telle ligne de conduite déboucherait sur une véritable escalade et ne serait donc envisageable que dans des circonstances extrêmes.
Même si la Russie est bien plus susceptible de recourir au subterfuge qu’à une action militaire directe, l’OTAN doit prendre en compte toutes les éventualités pour assurer une dissuasion crédible. Sur le front politique, la Russie soutient actuellement au Bélarus un parti ouvertement pro-russe, faisant appel à des personnalités qui ont participé à la mise en place d’institutions quasi-étatiques illégitimes en Crimée occupée et dans les territoires contrôlés par les rebelles dans l’est de l’Ukraine. La Russie risque d’exploiter les appels aux réformes démocratiques pour pousser jusqu’au cœur de l’appareil d’État les forces politiques soutenues par le Kremlin. Dès lors, la Russie pourrait être mieux placée pour imposer ses vues et faire progresser son ambition de redonner vie à un « État unifié » et ce, au détriment de la souveraineté du Bélarus.