Christian TYBRING-GJEDDE (Norvège)
20 novembre 2020
En 2013, le président chinois Xi Jinping annonçait la mise en place de ce qui est peut-être le plus ambitieux des programmes d'investissement et d'infrastructures jamais conçu. L'initiative « la ceinture et la route » (Belt and Road Initiative, BRI) est la démonstration la plus audacieuse des ambitions économiques, diplomatiques et stratégiques mondiales de la Chine. Ce projrapport affirme que la BRI aura une incidence sur le paysage géopolitique du XXIe siècle telle, que la communauté transatlantique ne peut tout simplement pas l’ignorer.
Ce rapport indique que les documents officiels transmis par le gouvernement chinois font état d’objectifs à priori bénins : développer la connectivité régionale en Eurasie, accroître les échanges, l'investissement et la croissance économique, renforcer la confiance dans les instances politiques et resserrer des liens économiques entre les nations. Les décideurs politiques et les analystes occidentaux y ont toutefois perçu de nombreux autres éléments qui permettraient à la Chine d’être plus en phase avec sa politique de sécurité nationale et son ambition ultime d'atteindre le statut de superpuissance mondiale.
Si la Chine est en concurrence avec l'Occident sur le plan stratégique, elle n’en reste pas moins un partenaire commercial important et un maillon essentiel des chaînes de valeur mondiales. Elle ne peut donc pas être facilement mise à l’écart de la scène économique mondiale sans que cela ne soit très préjudiciable à l'Occident. Ce dernier devra s’efforcer de travailler collectivement pour transformer la menace de la BRI en opportunité, ce qui ne sera pas une entreprise facile.
En termes pratiques, la BRI rassemble essentiellement trois initiatives connexes : la ceinture économique de la route de la soie, la route de la soie maritime et, plus récemment, la route de la soie numérique. Le long de ces corridors, de nombreux projets d'infrastructure sont en cours ou envisagés, notamment des oléoducs, des routes, des voies ferrées, des ports, des réseaux numériques incluant la 5G, ainsi que la facilitation d’un grand nombre d’investissements industriels. La Chine a également l'intention de créer, au sein de certains pays participant à la BRI, un minimum de 50 zones économiques spéciales régies par des accords de coopération afin de faciliter l'investissement et d’approfondir ses liens commerciaux avec ces régions. Le rapport aborde également la dimension arctique de cette vaste entreprise.
Le document explore ensuite les risques spécifiques que la BRI fait peser sur l'Occident, parmi lesquels le financement et la construction d’infrastructures pouvant faciliter l'expansion militaire de la Chine ; l’encouragement de pratiques de prêts opaques, véritables pièges à endettement ; le peu d'attention accordée à la durabilité environnementale ; la facilitation de l'espionnage, notamment par le biais de la route de la soie numérique, l'approbation de pratiques de travail douteuses et le fait de fermer les yeux sur la corruption, qui affaibliraient les efforts internationaux visant à une meilleure gouvernance.
On craint également que, par le biais de la BRI, la Chine n’essaie de « diviser pour mieux régner » en Europe, cette dernière n'étant toujours pas parvenue à trouver un consensus significatif face à l’ambitieux projet chinois. Les risques de tensions transatlantiques sont par ailleurs exacerbés, les dirigeants américains se méfiant profondément de la BRI, et la considérant davantage en termes géostratégiques qu'économiques.
Le rapport conclut en exhortant l'Europe et l'Amérique du Nord à œuvrer ensemble à l'élaboration d'une approche commune de la BRI qui reconnaisse à la fois les ambitions géostratégiques de la Chine mais aussi les motifs économiques justifiant la poursuite d’un certain engagement envers le pays. Il appelle la communauté transatlantique à défendre un autre modèle de développement et d'investissement fondé sur des principes de transparence, de durabilité, de libéralisation des marchés et de bonne gouvernance.
Le rapport, rédigé aux prémices de la pandémie de coronavirus, note enfin que la crise que nous traversons pourrait bien modifier la dynamique de nos relations avec la Chine, bien qu'il soit encore très difficile, à l'heure actuelle, de prévoir dans quelle mesure.