Ukraine, transition énergétique, avancées technologiques et sécurité des chaînes d’approvisionnement au cœur des discussions d’une visite de l’AP-OTAN à Washington

15 juin 2023

Les pays membres de l’Alliance sont aujourd’hui en compétition avec des pays qui ne respectent ni les valeurs démocratiques, ni le règne du droit. Dans ce nouveau contexte stratégique, une délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) s’est rendue à Washington (États-Unis) du 5 au 9 juin pour assister à une série de rencontres sur les thématiques suivantes : renforcer l’Alliance face à une Russie animée par l’esprit de revanche et engagée dans une guerre illégale contre l’Ukraine ; identifier les défis commerciaux et technologiques communs et leurs multiples implications géostratégiques, notamment en provenance de la Chine, et y répondre ; résoudre les différends commerciaux en cours ; et renforcer la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN et préserver l’ordre international fondé sur des règles.

La délégation, composée de 31 parlementaires de 15 pays de l’Alliance était dirigée par John Spellar (Royaume-Uni), président de la sous-commission de l’AP-OTAN sur les relations économiques transatlantiques, et Kevan Jones (Royaume-Uni), président de la sous commission de l’AP-OTAN sur les tendances technologiques et la sécurité. Celle-ci a rencontré les membres de la délégation du Congrès des États-Unis auprès de l’AP-OTAN, des haut-représentants de l’administration américaine mais aussi des diplomates, des experts et des scientifiques.

Défis posés à la base industrielle et technologique de défense des Alliés

C’est sur les différentes façons de relever les défis technologiques émergents qui menacent la sécurité et le bien-être économique de la communauté de démocraties que la visite a principalement porté. À l’heure où l’innovation est largement portée par le secteur commercial, un changement de paradigme s’impose en matière de développement stratégique, a-t-il été avancé lors d’une rencontre avec le Defense-Industrial Initiatives Group et le Strategic Technologies Program du CSIS (Center for Strategic and International Studies). James Lewis, vice-président et directeur du programme sur les technologies stratégiques (Strategic Technologies Program), a présenté les enjeux liés à l’écosystème d’innovation aux États-Unis. 

Plus spécifiquement, M. Lewis a démontré que la durée du cycle de l’approvisionnement, long parfois de trois ans, ne convenait pas au mode de fonctionnement des start-ups, lesquelles doivent prendre des décisions de financement plus rapides pour éviter la faillite. Il a également rappelé l’importance de trouver un équilibre acceptable entre confidentialité et réglementation pour ne pas nuire à la compétitivité ni au développement technologique.

Cynthia Cook, directrice du Defense-Industrial Initiatives Group au CSIS, a rappelé qu’il ne suffisait pas qu’un État ou une coalition dispose des systèmes d’armes les plus sophistiqués pour remporter des combats critiques. Le plus important, selon elle, est d’associer la technologie à une stratégie appropriée, ce que la Russie n’a manifestement pas réussi à faire jusqu’à présent dans sa guerre contre l’Ukraine. Soulignant l’importance croissante de l’intelligence artificielle (IA) dans la gestion moderne des zones de combat, Mme Cook a signalé qu’il était peu probable que les rivaux et concurrents stratégiques de l’Alliance s’encombrent de contraintes éthiques quant à l’utilisation de l’IA dans le secteur militaire. Grâce aux importants progrès qu’elle a réalisés dans l’IA, l’informatique quantique et les missiles supersoniques, la Chine est devenue un rival de puissance quasi équivalente dans ces secteurs. Toutefois, pour y parvenir, la Chine a eu recours à l’espionnage économique, a tempéré Mme Cook. La Chine s’est également ouverte aux entreprises des deux côtés de l’Atlantique pour encourager le partage de technologies, y compris dans des secteurs sensibles.

Les États-Unis, leurs alliés et leurs partenaires devront repenser leurs systèmes de production et d’approvisionnement dans le secteur de la défense pour s’affranchir de la « base industrielle de défense du passé », a suggéré Mme Cook. Cela ne sera pas facile, étant donné la complexité des processus d’acquisition en place aux États-Unis et la présence de nombreux goulets d’étranglement qui empêchent de répondre à la demande croissante dans le secteur de la défense. Par exemple, l’Europe comme les États-Unis doivent relever le défi d’augmenter leur production de munitions pour répondre à la fois aux besoins de défense nationale et à ceux liés à l’assistance à l’Ukraine à un moment charnière de la guerre. Investir dans une capacité de montée en puissance constituera une priorité critique pour les Alliés dans les dix prochaines années ; cela sera plus facilement gérable avec une coordination plus efficace de leur politique industrielle de défense.

La sécurité énergétique figurait également au programme de la visite. La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a mis au jour les risques liés à une dépendance énergétique excessive vis-à-vis de rivaux stratégiques. Pour Robbie Diamond, PDG de SAFE (Securing America’s Future Energy), un groupe prônant la transition énergétique pour des raisons de sécurité, cet argument contribue à justifier une telle transition aux États-Unis.

Défis posés aux partenaires transatlantiques quant aux chaînes d’approvisionnement et à l’accès aux matériaux critique

L’un des principaux obstacles pour relever ces défis est que la Chine contrôle la production d’une grande partie des métaux et minerais essentiels à la génération d’électricité propre, à la production d’armements militaires entre autres secteurs. Alertant sur le fait que le secteur de l’énergie pourrait prochainement entrer en concurrence avec le secteur militaire sur l’accès à de telles ressources, M. Diamond a expliqué que les deux côtés de l’Atlantique devaient diversifier leurs sources d’approvisionnement en ressources critiques et développer des infrastructures d’extraction et de traitement auprès de pays amis plus fiables. Faute de quoi, les Alliés ne feront que transférer leur dépendance pour le pétrole et le gaz d’un État autocratique à un autre, comme par exemple la Chine concernant les minerais critiques et leur traitement.

Tout au long de la visite, plusieurs intervenants ont expliqué à la délégation que la loi sur la réduction de l’inflation de l’administration Biden (Inflation Reduction Act, IRA), bien qu’elle englobe une partie de ces préoccupations, n’accorde pas suffisamment d’importance à la coopération transatlantique. Toutefois, l’administration travaille actuellement avec ses alliés européens pour répondre aux préoccupations de ceux-ci concernant les subventions américaines visant à accélérer la transition énergétique. Qui plus est, lors d’un échange au Département américain du commerce, la délégation s’est penchée sur les divers moyens de sécuriser l‘ordre commercial mondial, de mieux prendre en compte les intérêts des travailleurs, d’approfondir la coopération transatlantique dans le commerce de minerais et de technologies dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis et de l’Accord UE-États-Unis sur les minerais critiques, et enfin, de résoudre les différends commerciaux entre les deux côtés de l’Atlantique, comme par exemple les subventions américaines prévues par l’IRA au bénéfice du secteur des énergies renouvelables. Ces thématiques ont également été abordées lors des visites de l’ITIF (Information Technology & Innovation Foundation) et de SAFE.

La guerre de la Russie contre l’Ukraine, l’assistance portée par les Alliés à Kyiv et le rôle de la Chine

Au Capitole, la délégation a échangé avec Mike Turner, ancien président de l’AP-OTAN et chef actuel de la délégation des États-Unis, et d’autres membres du Congrès des États-Unis. Les interlocuteurs américains ont rappelé le caractère essentiel du soutien accordé par les Alliés à l’Ukraine pour aider le pays à repousser l’agression russe. Ils ont accueilli favorablement le soutien accordé par les Européens à l’Ukraine, ajoutant qu’un tel effort collectif devrait faire toute la différence sur le champ de bataille.

La délégation a également obtenu des renseignements sur l’état actuel des forces armées russes et sur l’impact des sanctions sur celles-ci. L’armée russe serait actuellement confrontée à de sérieux défis en matière de personnel, d’équipement et de moral. D’autre part, selon l’expert du CSIS, James Lewis, les sanctions internationales de plus en plus sévères ont compliqué l’accès à des technologies critiques, et l’économie russe commence à souffrir de goulets d’étranglement particulièrement coûteux. Le gouvernement russe apparaît de plus en plus fragilisé, et les querelles internes entre les forces armées régulières de la Russie et la milice Wagner semblent illustrer toute la profondeur du problème. Les sanctions ont sérieusement affaibli la capacité de la Russie à regénérer ses forces, dont certaines troupes d’élite se sont vues décimées par l’armée ukrainienne. Le Kremlin doit désormais composer avec une pénurie de soldats et de matériel, ce qui le pousse à mobiliser des personnes plus âgées, comme des criminels, pour combler les rangs mais aussi à déployer du matériel vieillissant sur le champ de bataille. Les analystes de RAND ont présenté un bilan provisoire de la guerre de la Russie contre l’Ukraine ainsi que plusieurs pistes en vue de la reconstruction de l’Ukraine à l’issue de la guerre. Ils ont notamment évoqué les problèmes de personnel auxquels sont confrontées la Russie et l’Ukraine. La reconstruction de l’Ukraine ne ressemblera pas au Plan Marshall, ont-ils expliqué. Compte tenu des expériences du passé, il serait logique que les États-Unis prennent le leadership en matière d’assistance de sécurité et l’Europe en matière d’assistance économique.

La guerre de la Russie contre l’Ukraine place également la Chine dans une position difficile dont elle pourrait se passer. Pékin s’est fermement attachée à resserrer ses liens stratégiques avec la Russie ; toutefois, cette relation relève plus de l’entente que d’une véritable alliance. La Chine ne souhaite pas se faire entraîner dans un soutien direct à l’effort militaire russe. D’autre part, les pays occidentaux ont signalé à la Chine que tout envoi de matériel militaire à la Russie aurait de lourdes conséquences. Le pays a toujours respecté une stricte position de non ingérence dans les affaires intérieures et conservé une conception absolutiste de la souveraineté nationale. La guerre de la Russie contre l’Ukraine, violation manifeste de ces concepts, vient à contre-sens de la rhétorique chinoise. Pékin se retrouve donc dans la position peu enviable de devoir concilier l’inconciliable, a-t-il été conclu.

La guerre a également mis au jour les vulnérabilités du réseau commercial et de la chaîne d’approvisionnement des pays occidentaux, avec pour conséquence de modifier le calcul des risques encourus dans le commerce avec la Chine. Selon les intervenants, comme les États Unis et l’Europe ont choisi deux approches très différentes dans leur gestion de la situation, il devient très difficile de maintenir un front transatlantique uni face à la volonté chinoise d’ouvrir des marchés pour ses entreprises, y compris celles impliquées dans le trafic de technologies sensibles. À l’ITIF (Information Technology and Innovation Foundation), les exposés ont porté sur les défis technologiques émanant de la Chine. Le président de la Fondation, Rob Atkinsons, a insisté sur l’importance des progrès réalisés par la Chine sur plusieurs technologies clés. Il a expliqué que ces avancées rapides avaient été rendues possibles, entre autres, par des transferts de technologies en provenance des pays occidentaux, des investissements financiers de très grande ampleur et le piratage généralisé de technologies. Contrairement à l’Europe et aux États-Unis, qui se contentent d’obtenir des parts importantes de marché, la Chine entend dominer certains secteurs technologiques et marchés commerciaux clés. La stratégie chinoise étant fondée sur la récupération massive de données de toutes provenances, les États-Unis, le Japon et l’Europe seraient avisés d’ouvrir les yeux à cet égard. Une réponse possible à l’approche prédatrice de la Chine serait d’harmoniser le contrôle des exportations, a conclu M. Atkinsons.

Les progrès technologique au service des capacités militaires et de la compétitivité nationale

La délégation a également visité plusieurs centres de recherche technologique de grande importance, parmi lesquels le laboratoire de recherche des forces armées américaines, le laboratoire de physique appliquée de Johns Hopkins et le centre spatial Goddard de la NASA. Elle y a été informée des différentes façons dont les États Unis utilisent la science ultramoderne pour répondre aux enjeux stratégiques, économiques, climatiques et sociétaux de demain. Les membres de la délégation ont été informés que le gouvernement américain servait de catalyseur du progrès scientifique à travers le financement qu’il accorde à la recherche et à l’ingénierie pour favoriser l’innovation dans de nombreux secteurs, comme la technologie des missiles, les cyberopérations, les nouveaux matériaux, l’énergie, la robotique, la technologie radar, les capteurs et la biotechnologie. À la NASA, la délégation a reçu des informations sur les prochaines missions spatiales et les activités liées à l’observation de la Terre. Elle a eu l’opportunité de voir le télescope spatial nouvelle génération Nancy Roman en cours de construction au centre Goddard de la NASA. Lors de la visite de la branche américaine de BAE Systems, la délégation a été briefée sur l’ensemble des activités de l’entreprise en matière d’électronique avancée, de sécurité et de technologie de l’information.

Renforcer la coopération transatlantique

Une autre thématique abordée au cours de cette visite était la nécessité de renforcer la coopération transatlantique. Bruce Stoke, chercheur invité au GMF (German Marshall Fund of the United States), a rappelé que les enjeux liés à la Russie, la Chine, le domaine cyber et le changement climatique étaient trop importants pour que les pays se limitent à une simple réponse nationale. Alors que les deux côtés de l’Atlantique se montrent disposés à renforcer la relation transatlantique, celle-ci doit être préparée à la survenue éventuelle d’une crise politique d’un côté ou de l’autre, a-t-il mis en garde. D’autres sujets, comme le partage des charges et la protection de la démocratie en Europe et en Amérique du Nord, notamment contre les menaces et les défis d’ordre technologique, ont été étudiés au prisme du renforcement de la relation transatlantique.

À propos de l’AP-OTAN 

L’Assemblée parlementaire de l’OTAN offre aux parlementaires des pays membres de l’Alliance atlantique un cadre spécialisé privilégié leur permettant de débattre des questions qui façonnent les relations transatlantiques. Si l’Assemblée est, sur le plan institutionnel, distincte de l’OTAN, elle constitue un lien essentiel entre cette dernière et les parlements des pays membres de l’Alliance. Elle assure une plus grande transparence des politiques de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et permet aux législateurs et citoyens de l’Alliance de mieux appréhender les objectifs et missions de celle-ci.


Photos de la visite gracieusement fournies par © NASA/GSFC/Tabatha Luskey

Lire aussi

SEE MORE