La guerre en Ukraine, le prochain sommet de l’OTAN et la situation au Moyen-Orient et en Asie étaient à l’ordre du jour de la visite aux États-Unis d’une délégation de la commission de l’économie et de la sécurité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) du 22 au 26 avril 2024.
Quelques jours seulement après l’approbation d’une nouvelle série substantielle de mesures d’aide militaire en faveur de l’Ukraine par la Chambre des représentants des États-Unis, Brendan Boyle, membre du Congrès américain, président de la commission politique de l’Assemblée et hôte de la délégation, a souligné qu’en dépit du retard pris dans l’examen du projet de loi, le soutien bipartite en sa faveur et vis-à-vis de l’Ukraine restait ferme.
À l’occasion d’un événement organisé à l’Université de Princeton pour célébrer le 75e anniversaire de l’OTAN, M. Boyle a mis en garde la délégation contre les menaces territoriales et internationales pesant sur la démocratie, et a insisté sur la recommandation de longue date de l’Assemblée de créer un centre pour la résilience démocratique au siège de l’OTAN.
Cheryl Gallant (Canada), présidente de la sous-commission sur les relations transatlantiques, ainsi que Derk Boswijk (Pays-Bas) et Annick Ponthier (Belgique), vice présidents de la sous-commission sur les relations économiques transatlantiques, ont mené cette délégation constituée de 43 parlementaires d’Europe et d’Amérique du Nord.
L’importance continue du rôle de l’ONU
L'ambassadeur Robert Rae, représentant permanent du Canada auprès de l’ONU, a dirigé les sessions d’ouverture de la visite à New York. M. Rae a expliqué à la délégation qu’il était important de revoir les attentes concernant la fonction de l’ONU, en soulignant qu’au bout du compte, la réussite ou l’échec de l’organisation ne tenait qu’aux États membres. Il a attiré l’attention sur le fait qu'à l'heure actuelle les trois piliers de l’ONU, à savoir la paix et la sécurité, le développement durable et le respect des droits humains, étaient tous menacés.
Au cours des réunions au siège des Nations unies, Miroslav Jenca, le sous-secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques, a souligné que le secrétaire général de l’ONU en poste considère la guerre de la Russie en Ukraine comme une violation de la Charte des Nations Unies. M. Jenca a ajouté que l’ONU s’est toujours efforcée d’atténuer les conséquences les plus graves du conflit, par exemple en mettant en œuvre l’initiative céréalière de la mer Noire et en soutenant les déplacés ukrainiens ainsi que la reconstruction du pays.
La situation à Gaza était à l’ordre du jour des discussions avec Mohamed Khaled Khiari, le sous-secrétaire général pour le Moyen-Orient, l’Asie et le Pacifique de l’ONU. La délégation a été informée des nombreux efforts déployés par l’ONU pour tenter de mettre fin à la violence, rapatrier les otages israéliens, fournir une assistance humanitaire dont les civils ont désespérément besoin à Gaza et trouver la voie d’une paix plus durable.
Michel Saad, le directeur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a exhorté les États membres de l’OTAN à faire davantage pour soutenir l’action humanitaire de l’ONU à Gaza. M. Saad a ajouté que le secrétaire général de l’ONU venait de recevoir les résultats d’une évaluation indépendante de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et de son respect du principe de neutralité. Sans être en mesure de fournir plus de détails sur le rapport, M. Saad a toutefois indiqué que celui-ci reconnaissait le rôle irremplaçable de l’ONU pour faire parvenir à Gaza une aide humanitaire compte tenu des réseaux très développés de l’organisation sur le territoire. Le rapport a néanmoins identifié des insuffisances de gestion et des domaines où des améliorations sont à la fois possibles et nécessaires.
Au cours d’une longue discussion sur les défis auxquels la question de l’Ukraine se heurte au sein de l’ONU, principalement en raison du droit de veto de la Russie au Conseil de sécurité, Sergiy Kyslytsya, ambassadeur et représentant permanent de l’Ukraine auprès des Nations Unies, a rappelé à la délégation que l’article 27(3) de la Charte des Nations Unies prévoit qu’une partie à un différend doit s’abstenir de participer aux votes du Conseil de sécurité sur toute question en lien avec ce différend. Selon M. Kyslytsya, la Russie devrait donc s’abstenir de participer aux votes concernant la politique de l’ONU à l’égard de l’Ukraine. L’ambassadeur a par ailleurs souligné l’importance de renforcer l’engagement avec les pays du Groupe des 77.
L’adaptation de l’OTAN et les attentes vis-à-vis du sommet de Washington
Lors des discussions tenues à l’académie militaire des États-Unis à West Point, le lieutenant-colonel Jordan Becker a expliqué aux délégués que, bien que les Alliés aient réalisé des progrès vers l’objectif fixé par l’OTAN de consacrer 2 % de leur PIB à la défense, l’Europe devait assumer de plus grandes responsabilités en matière de sécurité pendant que les États Unis consolident leurs forces en Asie et ailleurs. Le lieutenant-colonel a ajouté que Vladimir Poutine avait commis une grave erreur d’appréciation en lançant une invasion mal planifiée qui a laissé le temps à l’Ukraine et à l’Occident de réagir avec efficacité.
L’école des affaires publiques et internationales de l’Université de Princeton a célébré le 75e anniversaire de l’OTAN et a réfléchi à l’avenir de l’organisation à l’occasion d’une grande réunion publique à laquelle a participé la délégation de l’AP-OTAN.
Mme Karen Donfried a appelé les Alliés à faire preuve d’unité et de détermination lors du prochain sommet de l’OTAN à Washington. Elle a ajouté que les enjeux en Ukraine sont très élevés et que Vladimir Poutine cherchait à saper l’ordre international fondé sur des règles, dont l’importance est fondamentale pour les Alliés et les partenaires.
L’ambassadeur Douglas Lute a fait remarquer que le sommet de l’OTAN a lieu à un moment décisif et pourrait avoir des conséquences aussi importantes, voire encore plus lourdes, que la fin de la guerre froide et les attentats terroristes du 11 septembre. Il a averti la délégation que la démocratie était de plus en plus sur la défensive et que les Alliés s’exposaient aux ingérences extérieures en cas de recul de la résilience démocratique. Tout comme M. Boyle, membre du Congrès américain, M. Lute estime que les valeurs fondamentales de l’OTAN sont essentielles et qu’un effort collectif est nécessaire pour les défendre.
Juan Carlos Pinzon, l’ancien ministre de la défense de la Colombie, a déclaré partager l’avis que l’OTAN avait son rôle à jouer dans le ralliement du soutien à la démocratie à travers le monde, ajoutant qu’il s’agit d’un élément clé du rapprochement de la Colombie et de l’OTAN.
Le membre du Congrès américain Brendan Boyle, par ailleurs président de la commission politique de l’AP-OTAN, a quant à lui noté que la pertinence du rôle de l’OTAN ne fait aucun doute. Il a salué le fait que les Alliés européens aient considérablement augmenté leurs investissements de défense ces dernières années et a enjoint les Alliés en retard dans ce domaine à atteindre l’objectif des 2 % du PIB, soulignant le fait que le non-respect de cet engagement renforce l’argumentaire des personnes qui, aux États-Unis, sont favorables à l’isolationnisme.
À Philadelphie, l’ambassadeur Alexander Vershbow, membre émérite du Scowcroft Center for Strategy and Security de l’Atlantic Council, a appelé les Alliés à faire clairement savoir, lors du sommet de Washington, que leur objectif ultime est la victoire de l’Ukraine. Il a également demandé aux Alliés d’envoyer un signal clair sur leur engagement à aider le pays à se préparer rapidement à entamer le processus d’adhésion à l’OTAN. M. Vershbow a également souligné la nécessité pour l’OTAN de réviser sa politique vis-à-vis de la Russie pour l’avenir.
John R. Deni, professeur de recherche en études de sécurité à l’institut d’études stratégiques de l’U.S. Army War College, a fait part de sa « liste de souhaits » pour le sommet de l’OTAN, qui dépasse de loin les résultats attendus. Il a exhorté l’OTAN à concrétiser sa politique de dissuasion par interdiction le long de son flanc oriental en consolidant sa défense aérienne et antimissile en Pologne et en Roumanie. Il a aussi insisté sur la nécessité de rationaliser le secteur européen de la défense pour améliorer sa rentabilité. M. Deni a également conseillé aux Alliés à mettre un terme à l’Acte fondateur OTAN-Russie qui, pour l’essentiel, n’a plus la moindre raison d’être, et suggéré d’utiliser le financement commun OTAN comme garantie financière pour les projets de développement des capacités à long terme. En guise de conclusion, il a enjoint les Alliés à fixer un nouvel objectif pour les investissements de défense supérieur à l’objectif actuel de 2 % du PIB.
Le soutien à l’Ukraine
Gideon Rose, chercheur principal adjoint au Council on Foreign Relations, s’est adressé à la délégation dans le cadre de la mission permanente du Canada auprès de l’ONU, en conseillant à l’Occident de ne pas surestimer la puissance de la Russie. M. Rose a souligné la capacité de l’Occident à contrecarrer les ambitions de Vladimir Poutine en Ukraine. Il a également affirmé qu’il fallait faire montre de détermination et que seules des balles réelles (et non des solutions miracles), permettraient de mettre fin à la guerre.
À West Point, Robert Person, a averti la délégation que les velléités guerrières de la Russie sont aujourd'hui à leur paroxysme et menacent l’existence même de l’Ukraine, ajoutant qu’il est dorénavant devenu impossible de régler le conflit par la négociation. Les deux camps se battront jusqu’à être forcés d’admettre qu’il est impossible de remporter la victoire, et ce n’est qu’à ce moment que les positions évolueront, offrant des conditions plus propices à un règlement du conflit.
À l’Université de Princeton, M. Boyle a annoncé que Joe Biden venait de signer le projet de loi, adopté par le Congrès un peu plus tôt dans la semaine, destiné à fournir à l’Ukraine, à Taïwan et à Israël une aide militaire à hauteur d’un montant de 95 milliards de dollars. Il a indiqué que l’adoption du projet de loi réaffirme la volonté des États-Unis de continuer à diriger l’Alliance et à résister aux agresseurs.
À Philadelphie, Trudy Rubin, chroniqueuse au Philadelphia Inquirer s’est également réjouie de l’adoption du plan d’aide substantiel des États-Unis et du transfert à l’Ukraine des systèmes militaires de missiles tactiques à longue portée (ATACMS), qui placeront dans la ligne de mire les forces et la logistique russes en Crimée. Mme Rubin a appelé l’Allemagne à fournir à l’Ukraine des missiles de croisière Taurus et d’autres Alliés plus éloignés de l’Ukraine de mettre à disposition du pays des systèmes de défense aérienne Patriot.
À la question de l’adhésion future de l’Ukraine à l’OTAN, le Mme Donfried a exhorté les Alliés à préciser les conditions nécessaires pour que le pays soit invité à rejoindre l’Alliance, au nombre desquelles le respect de normes démocratiques ou encore la fin des combats actifs plutôt que la fin de la guerre en elle-même.
La présence de la Chine et de la Russie en Afrique
Au cours d’un séminaire de clôture à Philadelphie, le colonel (retraité) Robert E. Hamilton, directeur de la recherche du programme Eurasie au FPRI (Foreign Policy Research Institute) a expliqué à la délégation que les interactions de la Chine et de la Russie en Afrique ne sont ni de l’ordre de la coopération, ni de l’ordre de la concurrence, même si chaque pays est au fait des agissements de l’autre. Le colonel Hamilton a ajouté que la Russie se concentre sur la région du Sahel, où les milices dites privées sont les principaux agents de la politique russe, et poursuit l’objectif de mettre la main sur des matières premières et des sources d’énergie tout en réduisant l’influence occidentale. Vladimir Poutine a cherché un soutien diplomatique en Afrique à un moment où les pays situés le long de ses frontières se sont fermement opposés à la guerre menée en Ukraine.
L’approche de la Chine, basée sur le développement économique, n’est pas aussi ouvertement anti-occidentale, a ajouté le colonel. La Chine est à la fois le premier partenaire commercial de l’Afrique et un investisseur important sur ce continent. La Chine mise sur son poids économique pour obtenir le soutien de sa politique vis-à-vis de Taïwan. Ces dernières années, la Chine s’est également appuyée sur son histoire économique et politique, la proposant comme modèle pour le développement de l’Afrique. Cette politique a une dimension sécuritaire, et Pékin a notamment fourni à des gouvernements africains des technologies de surveillance servant à exercer un contrôle sur les sociétés civiles. Cependant, il existe un ressentiment croissant en Afrique lié aux conséquences environnementales de certains investissements miniers chinois.
Jacques DeLisle, le président du programme Asie du FPRI, a noté que, pour améliorer son image en Afrique, l’Occident devrait se concentrer non seulement sur l’aide au renforcement des capacités, mais aussi sur des projets plus visibles et concrets, même s’il ne sera guère possible de surpasser la Chine en matière d’investissements dans les infrastructures.
Autres points abordés
À Philadelphie, des chefs d’entreprises de l’État de Pennsylvanie ont exposé leur point de vue sur les questions de sécurité des chaînes d’approvisionnement et de transition écologique. Les parlementaires de l’OTAN ont également visité le site de l’entreprise américaine Leonardo Helicopters pour en savoir plus sur le leadership de l’entreprise en matière de production de giravions militaires et commerciaux.
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Photos de la visite © NATOPA