Visite à Séoul : la Corée du Sud souhaite un rapprochement avec les démocraties occidentales face à l’avancée des régimes autoritaires

28 octobre 2022

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La République de Corée s’inquiète de l’escalade des tensions dans la péninsule de Corée et à travers le monde dans un contexte où les puissances autoritaires sont déterminées à saper l’ordre international fondé sur des règles. En Asie, en Amérique du Nord et en Europe, les démocraties partageant les mêmes valeurs doivent coopérer davantage pour faire face à de telles menaces. Tel était le message reçu par les membres de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) lors d’une visite à Séoul du 18 au 22 octobre.

Représentant la sous-commission sur les partenariat de l’OTAN (PCNP) et la sous-commission sur la résilience et la sécurité civile (CDSRCS), la délégation était composée de 21 législateurs européens issus de 13 États membres de l’OTAN. Elle était menée par le président de la PCNP Marcos Perestrello (Portugal) et le vice-président de la CDSRCS Muhammet Naci Cinisli (Türkiye).

Les haut-représentants du gouvernement et les législateurs coréens ont exprimé une inquiétude particulière envers l’agressivité croissante du régime nord-coréen. Cette année, Pyongyang a mené un nombre d’essais de missiles record – plus de 40 tirs – et se serait préparé à mener son premier essai nucléaire depuis 2017 – le septième de son histoire. Un expert de l’ASAN Institute for Policy Studies, l’un des principaux think tanks coréens, a expliqué que la doctrine nord-coréenne régissant les tirs de missiles et nucléaires avait évolué au cours des dernières années, passant d’une posture défensive (dissuasion stratégique des États-Unis) à une posture offensive (menacer directement la Corée du Sud avec des missiles à portée courte et intermédiaire). Cette doctrine ne reconnaît pas le principe du non-recours en premier à l’arme nucléaire ; Pyongyang a d’ailleurs indiqué être prêt à utiliser l’arme nucléaire si le régime se sentait menacé. 

Plusieurs intervenants coréens et internationaux ont informé la délégation de l’AP-OTAN qu’en 2017-2018, les tentatives d’échanges menées par le précédent gouvernement sud-coréen et la précédente administration américaine avec Pyongyang n’ont débouché que sur une amélioration temporaire de l’environnement de sécurité de la péninsule. Depuis 2018, celui-ci s’est détérioré considérablement, la Corée du Nord revenant à ses tactiques de chantage nucléaire et aux missiles en vue d’alléger le régime de sanctions. La délégation a été informée que la nouvelle administration sud-coréenne du président Yoon Suk-yeol menait une politique étrangère lucide, centrée sur la dissuasion de la Corée du Nord, principalement à travers un rapprochement avec les États-Unis.

Parallèlement, Séoul se dit prêt à échanger avec Pyongyang en lui faisant une proposition qualifiée d’« audacieuse » par le président Yoon, prévoyant une assistance économique, humanitaire et diplomatique en échange d’un recul des programmes de missiles et nucléaires de la Corée du Nord. Comme l’a formulé le ministre des affaires étrangères Park Jin devant la délégation, Séoul espère que Pyongyang « prendra la décision audacieuse d’accepter notre proposition audacieuse ».

Les intervenants coréens et internationaux semblent sceptiques quant à la perspective d’une réunification dans un futur proche, même si cela reste l’objectif stratégique à long terme de la Corée du Sud. Malgré l’ampleur des sanctions internationales, la Corée du Nord reste relativement auto-suffisante. Le pays est dans une situation de pénurie alimentaire, mais celle-ci n’est pas catastrophique, a entendu la délégation. Le régime bénéficie également du soutien de la Chine et de la Russie. Les jeunes générations sud-coréennes n’ont plus aucun souvenir de la guerre de Corée (1950-1953) et s’éloignent de plus en plus de leurs voisins du Nord. D’autre part, de nombreux Sud-Coréens s’inquiètent du coût économique potentiel de la réunification de ces deux pays aux niveaux de prospérité si différents. Comme l’a remarqué un expert coréen, l’objectif le plus urgent à l’heure actuelle n’est pas la réunification, mais la paix et la stabilité de la péninsule coréenne.

La nouvelle administration sud-coréenne a replacé la question des droits humains au cœur de la politique nord-coréenne du pays. Plusieurs représentants d’ONG ont expliqué que cette dimension avait été quelque peu négligée au cours des dernières années. Les représentants du gouvernement sud-coréen et des activistes de la société civile ont présenté à la délégation les différentes formes de violations des droits humains massivement utilisées en Corée du Nord, y compris la torture, les exécutions publiques, les détentions illégales, la rétention d’informations et le travail forcé. La lutte contre la pandémie de Covid-19 a également servi de prétexte pour renforcer davantage les restrictions. L’ambassadrice Lee Shin-hwa, récemment nommée envoyée spéciale du nouveau gouvernement sur les droits humains en Corée du Nord, a demandé aux décisionnaires politiques des pays occidentaux de maintenir l’attention internationale sur la situation tragique des droits humains en Corée du Nord et d’utiliser leur influence sur la scène internationale pour tenir le régime responsable de ses actes.

La coopération entre la Corée du Sud et l’OTAN d’une part, et les États-Unis d’autre part, conserve une importance stratégique cruciale pour Séoul, a compris la délégation. Les intervenants coréens ont chaleureusement salué la participation du président Yoon au sommet de l’OTAN à Madrid. Le ministre Park, le ministre de la défense nationale Lee Jong-sup, le président de l’Assemblée nationale Kim Jinpyo, et les membres des commissions parlementaires pour la défense nationale et les renseignements ont tous demandé le renforcement de la coopération pratique entre la Corée du Sud et l’OTAN, notamment en menant des exercices militaires conjoints pour développer l’interopérabilité et en s’attaquant ensemble aux défis de sécurité émergents. Les parlementaires de l'OTAN et les intervenants coréens partagent le même constat concernant les liens étroits qui unissent la sécurité euro-atlantique et la sécurité en Asie-Pacifique. Le ministre Park a également remarqué que la participation aux réunions de l’OTAN était un atout concret pour la consolidation des relations entre les quatre pays de la région Asie-Pacifique partageant les mêmes valeurs – l’Australie, la Corée du Sud, le Japon et la Nouvelle-Zélande. 

Concernant l’alliance entre la Corée du Sud et les États-Unis, l’administration du président Yoon a abandonné l’approche dite des « trois non » (pas de déploiement supplémentaire du système antimissile américain THAAD en Corée ; pas de participation à un réseau de défense antimissile dirigé par les États-Unis ; et pas d'implication dans une alliance militaire trilatérale avec les États-Unis et le Japon). Séoul a également intégré le cadre économique indopacifique (IPEF) lancé par les États-Unis et envisage de rejoindre le projet « Chip 4 », une alliance proposée par les États-Unis aux principaux producteurs de semi-conducteurs. Les parlementaires de l’OTAN ont également visité Camp Humphreys, siège du commandement des forces américaines en Corée, du commandement des Nations unies en Corée et du commandement des forces conjointes Corée du Sud-États-Unis. Il s’agit de la plus grande base militaire des États-Unis à l’étranger, avec un déploiement de 28 000 soldats américains et de pays partenaires, renfermant des moyens cruciaux tels que des systèmes de défense aérienne Patriot. Cette base est une puissante incarnation de l’engagement des États-Unis et de la communauté internationale pour la protection de l’armistice et de la souveraineté de la Corée du Sud. La délégation a également visité la zone démilitarisée et a été briefée par des représentants du commandement des Nations unies.

Le facteur chinois pèse lourdement dans les calculs stratégiques de Séoul. Les parlementaires de l’OTAN ont été informés que, pour la Corée du Sud, la République populaire de Chine était un partenaire économique plus important que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne réunis. Séoul espérait autrefois tenir ses relations économiques avec la Chine d’un côté et son alliance de sécurité avec les États-Unis de l’autre côté. Cependant, en adoptant une approche plus globale, l’administration sud-coréenne actuelle reconnaît que les politiques générales, économiques et de sécurité sont toutes interconnectées. Le ministre Park a souligné que la Corée du Sud se considérait, à l’échelle mondiale, dans le camp des démocraties, insistant sur la nette distinction idéologique entre la Corée du Sud et la Chine. Néanmoins, certaines réalités géopolitiques forcent Séoul à maintenir des relations « harmonieuses » et « sereines » avec Pékin. Le ministre a remarqué que la position de leader technologique de la Corée du Sud était un véritable atout pour son pays, lui valant le respect de la Chine. Il a invité les démocraties asiatiques et euro-atlantiques à collaborer plus étroitement pour préserver leur avance technologique, pour des raisons non seulement économiques, mais aussi stratégiques.

Les représentants du gouvernement et les parlementaires coréens ont unanimement condamné la guerre illégitime et brutale menée par la Russie en Ukraine. Le ministre Lee a remarqué que la Corée du Sud avait adopté le régime de sanctions internationales, avait soutenu des résolutions pro-ukrainiennes aux Nations unies et apportait une assistance économique et humanitaire à l’Ukraine. Le ministre a ajouté que Séoul envisageait plusieurs options pour accroître son assistance à l’Ukraine. Les intervenants coréens ont insisté sur le fait que l’assistance apportée à l’Ukraine était une expression de leur solidarité envers un pays démocratique attaqué par un voisin autoritaire.
La Corée du Sud est la 10e puissance économique mondiale et arrive en 8e position au classement des plus grands secteurs de défense ; la question d’une potentielle assistance militaire à l’Ukraine revient donc régulièrement à Séoul. Plusieurs experts ont expliqué que compte tenu de la situation vulnérable de la Corée du Sud et des liens existants entre la Corée du Nord et la Russie, Séoul devait faire preuve de prudence pour protéger ses propres intérêts nationaux. Cependant, le secteur de la défense coréen approfondit ses relations avec plusieurs membres de l’OTAN. Lors d’une visite à Hanwha Defence, une des grandes entreprises de défense coréennes, la délégation a été informée que l’entreprise fournissait des produits militaires à certains Alliés – Turquie, Norvège, Pologne et Estonie – et était en négociations avec d’autres pays membres de l’OTAN. Pendant cet échange, certains membres de la délégation de l’AP-OTAN ont déclaré que la coopération industrielle militaire entre la Corée du Sud et les pays de l’OTAN bénéficierait de la révision de la politique de « compensation » de la Corée du Sud, selon laquelle les vendeurs de technologie militaire doivent prendre des engagements financiers dans le développement industriel de la Corée du Sud.
 

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