Les incidences de la guerre russe en Ukraine sur le long terme : perspectives du Royaume-Uni

27 avril 2022

La guerre que le président Vladimir Poutine a choisi de mener contre l’Ukraine, a uni les Alliés, générant un engagement fort du côté de l’Alliance atlantique en soutien aux efforts déployés par l’Ukraine pour résister à l’agression de la Russie. L’invasion russe et la réponse de l’OTAN étaient les principaux thèmes de la mission de quatre jours au Royaume-Uni de la sous-commission sur les tendances technologiques et la sécurité (STCTTS) et de la sous-commission sur les relations économiques transatlantiques (ESCTER) de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Les membres ont également abordé les thèmes de la sécurité énergétique et climatique, les relations entre corruption, résilience et sécurité, le développement de technologies émergentes et de technologies de rupture ainsi que les enjeux des régimes de non-prolifération.

Pendant toute la visite, les participants ont discuté de l’état actuel de la sécurité euro atlantique dans le contexte de la guerre. Ils ont également été informés de la façon dont le gouvernement britannique a dû adapter sa stratégie environ un an après l’adoption de sa « Revue intégrée de sécurité, de défense, de développement et de politique étrangère ». Des représentants du gouvernement britannique et des membres du Parlement britannique ont mis en exergue l’important soutien bipartisan accordé à l’OTAN et à l’Ukraine. Il existe un consensus général sur le fait que le retour d’une guerre conventionnelle totale sur le continent européen marque un tournant de l’histoire européenne et oblige tous les gouvernements à en tirer les conséquences.

Mark Galeotti, expert de la Russie et de l’Eurasie et chercheur associé au Royal United Services Institute (RUSI), a informé la délégation que le président russe Vladimir Poutine s’était trompé en imaginant que la guerre en Ukraine serait « une opération facile, légère, […] comme une opération de police ». L’armée russe a en fait été confrontée à une résistance ukrainienne déterminée qui a forcé le Kremlin à revoir ses objectifs stratégiques à la baisse au point d’en faire une opération objectivement « vaine sur les plans politique, économique et stratégique ». Toutefois, la situation reste exceptionnellement dangereuse et il reste un fort potentiel de prolongation des massacres et d’escalade du conflit.

En ce qui concerne les technologies émergentes et les technologies de rupture (TE/TR), les représentants ont souligné le besoin de développer et d’adopter des systèmes d’innovation et d’acquisition plus souples. Alors que le secteur privé devient le principal moteur du progrès technologique, les gouvernements n’auront bientôt d’autre choix que de mobiliser le potentiel des start-ups et de la recherche. L’accélérateur d’innovation de défense pour l’Atlantique Nord (DIANA) de l’OTAN, en cours d’installation à Londres et en Estonie, jouera un rôle crucial dans ce processus. Avec la guerre russe en Ukraine, de nouvelles priorités de développement ont été identifiées, comme le rôle crucial des munitions et des drones intelligents, de petite taille, à haute technologie et de haute précision.

À Portsmouth, des responsables de BAE Systems ont présenté les enjeux liés au développement de ce genre de nouveaux systèmes. L’un des principaux obstacles rencontrés par les forces armées est la gestion et l’exploitation de flux de données encore plus importants tout en assurant une cyberdéfense forte. D’après Justin Bronk (RUSI), le développement et l’intégration des TE/TR n’enlèvera aucune importance à la masse en tant que facteur de succès militaire. Malgré les progrès sans précédent de la technologie militaire, les conflits militaires conventionnels à venir nécessiteront encore d’importantes réserves d’armes et des systèmes d’appui logistique considérables, ce que les membres de l’OTAN ne doivent pas sous-estimer. Les représentants de BAE Systems ont également présenté leur vision des enjeux relatifs aux TE/TR dans le domaine naval.

Plusieurs intervenants ont suggéré que les technologies vertes doivent jouer un rôle central face aux risques de sécurité énergétique et, plus largement, au changement climatique. Partout dans le monde, les forces armées vont ressentir l’impact du changement climatique sur leurs opérations. Elles doivent également s’engager pleinement sur le chemin du zéro émission nette. La base navale britannique de Portsmouth est la plus grande consommatrice d’énergie au Royaume-Uni. L’utilisation de technologies vertes présente donc un intérêt en matière de sécurité climatique et de sécurité nationale. La hausse des prix de l’énergie laisse également penser qu’il s’agit d’un autre enjeu majeur de sécurité économique.

La délégation a également abordé la dislocation des chaînes d’approvisionnement d’abord par la pandémie de Covid-19 puis par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Plusieurs intervenants ont demandé aux membres de la délégation d’envisager de prendre des sanctions pour enrayer la machine de guerre russe et pour réduire l’importante dépendance envers des rivaux stratégiques tels que la Chine. La dépendance très inconfortable de l’Europe au pétrole et au gaz russes a servi de leçon à cet égard.

Pourtant, les risques économiques ne proviennent pas tous de l’extérieur. Les Alliés doivent également se tourner vers eux-mêmes pour éradiquer de dangereuses vulnérabilités telles que la corruption, thème du rapport général de la commission de l’économie et de la sécurité en 2022. Une fois de plus, la guerre menée par la Russie en Ukraine a servi de catalyseur à ce sujet. Creon Butler (Chatham House) et Tom Keatinge (RUSI) ont tous deux signalé que la corruption constitue une menace pour les institutions démocratiques en plus d’être devenue un outil de guerre hybride pour les rivaux stratégiques. Ils ont toutefois ajouté que la corruption pose un risque encore plus important aux grands efforts internationaux de lutte contre le changement climatique. Sans protection contre la corruption et les détournements de fonds, les grands investissements publics nécessaires au développement d’infrastructures essentielles pour mener la transition énergétique pourraient être dilapidés. La lutte contre la corruption s’avère donc essentielle pour renforcer la résilience face au changement climatique et aux nouvelles menaces stratégiques.

Enfin, les membres ont étudié plusieurs perspectives concernant le régime de non prolifération nucléaire. La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a une fois de plus façonné les échanges. Les négociations nucléaires avec la Russie vont devenir extrêmement compliquées voire impossibles à cause des tensions émanant du conflit actuel. Ces tensions débordent déjà sur d’autres négociations de maîtrise des armements, comme les efforts de relance du plan d’action global commun (PAGC) pour l’Iran.

La visite conjointe de la STC et de l’ESC au Royaume-Uni s’est déroulée au Parlement britannique et sur la base navale de Portsmouth. Philippe Michel-Kleisbauer (France) et Ivans Klementjevs (Lettonie) dirigeaient une délégation de 29 membres issus de 15 pays membres de l’OTAN. Les membres ont rencontré des représentants du gouvernement et des personnalités politiques britanniques de premier plan autour des priorités actuelles du pays en matière de sécurité et de politique étrangère, ainsi que plusieurs experts issus des milieux de la recherche universitaire, de groupes de réflexion et d’ONG.

Un compte-rendu de la visite sera disponible sur le site de l’AP-OTAN dans les prochaines semaines.
 

 

 

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