À l’heure actuelle, la Bosnie-Herzégovine est confrontée à la crise politique la plus grave qu’elle ait connue depuis qu’elle a quitté les méandres d'une guerre civile acharnée il y a près de 30 ans, a appris une délégation de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN (AP-OTAN) lors d'une visite qui s’est déroulée du 7 au 9 juin 2022. Après une décennie de tensions internes croissantes et d’un certain désintérêt affiché par la communauté internationale, les fissures politiques en Bosnie-Herzégovine se sont récemment aggravées, tandis que la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine et l’ingérence russe dans les Balkans occidentaux ont exposé les vulnérabilités du pays.
Afin de mieux appréhender cette évolution inquiétante et de manifester sa solidarité avec tous les citoyens de Bosnie-Herzégovine, la délégation, composée de plus de 20 législateurs issus de pays alliés ou partenaires de l’Alliance dans les Balkans occidentaux, a rencontré un certain nombre de hauts responsables du pays.
Au cours de la visite, le haut représentant des Nations unies pour la Bosnie-Herzégovine, Christian Schmidt, a invoqué les « pouvoirs de Bonn » pour que la Commission électorale centrale reçoive les fonds suffisants pour préparer et organiser des élections programmées au 2 octobre. En effet, la veille de la réunion, le Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine n'était toujours pas parvenu à allouer la totalité de ces fonds. Selon M. Schmidt « les récits nationalistes ne susciteront pas la réconciliation et ne promettent pas d'avenir. J’ignore qui va gagner, qui va se présenter, mais ce que j'ai fait, c'est m'assurer qu'il y ait du papier pour les bulletins de vote. Les tensions s’accumulent. Nous devons nous efforcer d’apaiser la situation. Nous devons apporter une compréhension coopérative dans ce pays ».
Les parlementaires de la sous-commission de l'AP-OTAN sur la transition et le développement ont examiné les sources d’un tel immobilisme politique, de cette torpeur économique et des progrès beaucoup trop lents enregistrés par la Bosnie-Herzégovine sur la voie de l'intégration euro-atlantique. Cet examen a été mené lors de discussions approfondies avec des parlementaires et de hauts responsables gouvernementaux de ce pays, des membres de la communauté diplomatique de Sarajevo, les commandants de l'EUFOR et du quartier général de l'OTAN à Sarajevo, d’acteurs de la société civile ainsi que des chefs d'entreprise à Kresevo. En effet, dans cette ville de Bosnie centrale, contrairement à une grande partie du pays, le secteur privé génère des emplois et démontre que le pays est tout à fait capable de prospérer lorsqu’une bonne gouvernance est pratiquée.
La délégation a entendu, de la part de plusieurs observateurs, que le système politique de la Bosnie Herzégovine était desservi par une élite politique qui attise délibérément les tensions ethniques pour se maintenir au pouvoir et étendre ses privilèges ainsi que ses entrées à un secteur public trop important. Alors que l'Europe connaît de graves tensions internationales liées à la guerre russe en Ukraine, la crise interne en Bosnie-Herzégovine suscite désormais de vives inquiétudes dans les capitales de l'OTAN et de l'UE.
L'exode massif de jeunes et de talents prometteurs de Bosnie-Herzégovine représente l'une des tendances les plus inquiétantes dans le pays, a déclaré Ivana Korajlic, directrice exécutive de la section Bosnie-Herzégovine à Transparency International. Selon elle, la corruption omniprésente a fermé les portes aux éléments les plus dynamiques de la société, ne leur laissant d'autres choix que d'émigrer vers l'Union européenne. De cette façon, les émigrants manifestent leur mécontentement : ils estiment qu'ils ne peuvent pas se permettre d'attendre des changements positifs et des opportunités économiques dans une économie nationale fortement étatisée, que des dirigeants corrompus exploitent tout en sapant le secteur privé.
Bien que la Russie ne fournisse que peu d'investissements et de soutien économique au pays, elle incarne un facteur politique de taille dans certaines parties du pays, notamment en Republika Srpska, et contribue à renforcer les divisions et l'instabilité politique, ont entendu les membres. Le chef de la délégation et représentant spécial de l'Union européenne, Johann Sattler, a noté que l'UE a travaillé dur pour lutter contre les faux récits propagés par la Russie dans le pays, notamment à la suite de sa guerre menée contre l'Ukraine.
L'OTAN comme l'UE se sont déclarées de plus en plus préoccupées par la situation sécuritaire en Bosnie-Herzégovine. Le 23 février 2022, à titre de précaution en faveur de la stabilité du pays, l'Union européenne a renforcé la mission Althea en déployant en Bosnie-Herzégovine environ 500 personnes issues des réserves de l’EUFOR. Le commandant de l'EUFOR, le général de division Anton Wessely, a déclaré à la délégation qu'il s'agissait d'une « mesure de prudence en raison des tensions et du potentiel de débordement de la situation en Ukraine ». Il a ajouté que l'objectif actuel consistait à faire de cette augmentation un signal permanent de l'engagement « à 100 % » de l'UE en faveur de la stabilité en Bosnie-Herzégovine. En novembre prochain, le Conseil de sécurité des Nations unies devra statuer sur le renouvellement du mandat de l'EUFOR. Un certain nombre d'intervenants ont noté latrès forte détermination européenne et nord-américaine à maintenir une présence militaire pour préserver la sécurité de tous en Bosnie-Herzégovine.
L'OTAN soutient l'opération EUFOR Althea dirigée par l'UE. Les deux commandements sont basés au camp de Butmir, que la délégation a visité, dans la banlieue de Sarajevo. La commandante du QG de l'OTAN à Sarajevo, la générale de brigade Pamela McGaha, a présenté un ensemble de réformes des secteurs de la défense et de la sécurité, tout en soulignant les principaux défis à relever. Elle a déclaré que la création d'une armée multiethnique intégrée dans un pays jadis déchiré par une guerre civile constituait en soi une réussite importante.
L'OTAN collabore avec la Bosnie-Herzégovine, pays candidat à l'adhésion à l'OTAN, afin d'étudier la possibilité d'accroître ses effectifs dans le pays et de mettre en place un ensemble d'aides sur mesure pour faire progresser la réforme et la modernisation, dans le but de faire avancer ses aspirations euro-atlantiques, sans que cela n’exerce de causalité sur la décision finale quant à une adhésion potentielle à l'OTAN.
En effet, l'ambition d'adhérer à l'OTAN reste vive chez une grande majorité de citoyens, mais pas en Republika Srpska. Ce manque d'unité est clairement apparu lors des discussions avec Šefik Džaferović, membre bosniaque de la présidence de la Bosnie-Herzégovine, et les conseillers principaux des deux autres membres de la présidence, Željko Komšić et Milorad Dodik. La notion d'adhésion à l'UE fait l'objet d'un plus grand consensus, mais le pays n'a accompli que très peu, voire aucun progrès quant au respect des quatorze points préalables, désignés par l'UE comme essentiels pour envisager le statut de candidat à une adhésion.
Le chef de la délégation bosniaque auprès de l'AP-OTAN, Nikola Lovrinovic, accompagnait cette délégation, menée par le député letton Ivans Klementjevs. La visite visait notamment à enrichir de nouveaux éléments la version finale du projet de rapport de la sous-commission, établi par Michal Szczerba (Pologne) et intitulé Balkans occidentaux : la guerre menée par la Russie contre L’Ukraine et les défis persistants dans la région.