La réaction de l’OTAN face aux défis actuels et futurs, thème central d’une visite parlementaire aux États-Unis

22 mars 2023

Même si les États-Unis assument des responsabilités sécuritaires à l’échelle mondiale, il est clair, aujourd’hui, qu’ils portent avant tout leurs efforts sur la sécurité euro-atlantique. En tête de leurs priorités pour la zone euro-atlantique figure l’appui à apporter aux efforts légitimes d’autodéfense menés par l'Ukraine face à l'invasion à grande échelle de la Russie.  Ce soutien doit se déployer à plein régime et à tous les niveaux de la puissance nationale – diplomatie, renseignement, moyens militaires, aide humanitaire et assistance économique. Les États-Unis ont clairement fait savoir qu’ils avaient pour objectifs primordiaux non seulement d’aider l’Ukraine à retrouver son territoire et, à terme, de le reconstruire, mais aussi de contrer les tentatives menées par la Russie pour instaurer une zone d’influence et contrecarrer par la force le maintien de l'ordre international fondé sur des règles.

La réalisation de ces objectifs passe avant tout par les efforts conjugués des Alliés, qui depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier, marchent dans les  pas des États-Unis. Des membres de la commission de la défense et de la sécurité (DSC) de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN se sont rendus aux États-Unis du 6 au 10 mars, soit quelques jours seulement après le premier anniversaire de cette invasion, dans le but de consolider encore l’indispensable lien transatlantique au travers d’une série de rencontres avec leurs homologues au Congrès des États-Unis, ainsi qu’avec des responsables des départements d’État et de la Défense, et du Commandement allié Transformation de l’OTAN (ACT) implanté à Norfolk, en Virginie. Le programme de la visite prévoyait également des réunions à l’USSPACECOM (Commandement spatial) des États-Unis ainsi qu’avec la société Maxar Technologies, au Colorado. Emmenée par Alec Shelbrooke (UK), président de la DSC, la délégation regroupait 43 parlementaires représentant 15 pays membres de l’OTAN ainsi que la Suède. 

Des Alliés unis au nom de l’autodéfense légitime de l’Ukraine

Tout au long de cette visite, les défis que la guerre russo-ukrainienne fait peser sur la sécurité euro-atlantique et mondiale ainsi que les mesures à prendre de concert par les Alliés pour en atténuer les effets ont dominé les débats. Le message des responsables américains n’a pas varié : les Alliés doivent, ensemble, continuer à répondre aux besoins impérieux liés à l’autodéfense de l’Ukraine, et faire en sorte que la posture de dissuasion et de défense de l’Alliance reste solide sur son flanc est. Ils ont affirmé que les États-Unis se sentaient confortés dans cette approche par l’unité sans précédent affichée par les pays membres depuis le début de la guerre, qui s’exprime au travers d’une action collective inédite visant à contrecarrer l’agression russe et à défendre l’ordre international basé sur des règles.

Par son ampleur, l’assistance directe apportée par Washington à l’Ukraine a dépassé de loin les efforts déployés par tout autre pays ou toute autre institution.  L’aide militaire américaine aux forces ukrainiennes est systématiquement orientée vers les impératifs du champ de bataille, afin de permettre à l’Ukraine de se défendre et de repousser l’envahisseur russe. L’assistance militaire mobilisée par les États-Unis pour les forces ukrainiennes depuis janvier 2022 représente plus de 43 milliards de dollars – soit près de dix fois le montant affecté à cette cause par le Royaume-Uni, deuxième plus grand donateur. Elle privilégie surtout ce que les responsables appellent les « 4 A » (armour, artillery, air defence, ammunition), soit les forces blindées, l’artillerie, la défense aérienne et les munitions, en combinaison avec l’entraînement, qui doit permettre aux forces ukrainiennes d’atteindre une puissance de feu et une capacité de manœuvre efficaces.

Il est indispensable que les Alliés continuent de doper cette assistance militaire, préalable à une puissante contre-offensive qui surviendra probablement plus tard dans le courant du printemps. Dans le même temps, il est impératif, ont souligné les responsables et les experts, que les Alliés et les partenaires continuent d’afficher leur volonté politique affirmée de maintenir le régime de sanctions, qui freine la capacité de la Russie à maintenir son effort de guerre.

Le groupe de contact sur la défense de l’Ukraine (dit « groupe de Ramstein ») a résolument poursuivi ses efforts en vue de réunir plus de 50 Alliés et partenaires, le but étant de coordonner toutes les formes de soutien militaire à l’Ukraine. De nouveaux paquets d’aide sont annoncés, visant à fournir aux forces ukrainiennes le matériel prêt au combat dont elles ont besoin. Les membres de la délégation ont été instamment invités à faire passer le message auprès de leurs parlements respectifs : à l’heure où de nombreux programmes essentiels restent en attente, il convient d’en faire plus pour assurer le financement de l’ensemble complet de mesures d’assistance (CAP) en faveur de l’Ukraine.

    Des dépenses de défense accrues pour renforcer et préparer le flanc est

À compter de 2014, les Alliés ont multiplié leurs efforts visant à renforcer le flanc est. Depuis l’invasion, les États-Unis assurent la présence de 100 000 hommes environ sur le théâtre européen, où sont déployés 5 groupements tactiques de la taille d’une brigade. 

La nouvelle posture de défense de l’OTAN repose sur un accroissement des forces de combat déployées à l’avant et issues de tous les pays de l’Alliance, sur la constitution de nouveaux stocks ainsi que le renforcement des stocks existants de matériels prépositionnés. Le commandement et le contrôle ont eux aussi été consolidés. Tous ces éléments s’appuient sur le nouveau modèle de forces de l’OTAN qui revoit nettement à la hausse les chiffres des forces à niveau de préparation élevé destinées à renforcer les troupes alliées en cas d’urgence. Ainsi, la Force de réaction de l’OTAN (NRF), qui comptait jusqu’à présent 40 000 hommes à niveau de préparation élevé, doit passer rapidement à 300 000 hommes. À l’heure qu’il est, les États-Unis cherchent en priorité à garantir à ces forces de l’avant en rotation suffisamment de matériels prépositionnés, ce qui, avec les acheminements massifs de matériels militaires destinés à appuyer les forces ukrainiennes,  s’avère de plus en plus difficile. 

Washington compte sur ses Alliés pour, à la faveur de cette forte unité, mettre en œuvre le nouveau modèle de dissuasion et de défense adopté lors du sommet de Madrid tenu en 2022. Il est impératif que les Alliés s’emploient à répondre aux nouveaux besoins capacitaires, recomplètent leurs stocks de munitions et de matériels épuisés en raison du soutien apporté à l’Ukraine, et mettent à disposition les ressources devant répondre aux exigences des nouveaux plans de défense de l’OTAN. 

Tout cela exigera de nouveaux investissements conséquents, à réaliser dans le cadre de l’engagement en matière d’investissements de défense adopté au pays de Galles. Pour les États-Unis, il va de soi que les 2 % du PIB évoqués dans ce dernier devront à l’avenir être considérés comme un plancher, et non plus comme un plafond.

Tirer les enseignements de la guerre déclenchée par la Russie et se préparer aux combats de demain

Le Commandement allié Transformation de l’OTAN a pour mission essentielle de préparer l’OTAN à l’environnement opérationnel de demain. La délégation s’est donc rendue à l’ACT où furent évoqués, entre autres, les premiers enseignements tirés de la guerre menée par la Russie ; la nécessité de passer au développement d’une défense multidomaines intégrée, à même de relier en continu tous les domaines de la guerre ; et l’indispensable supériorité cognitive sur les adversaires potentiels.

Au nombre des grands thèmes abordés lors de cette visite figurait aussi le rythme rapide des changements liés aux progrès technologiques dans la conduite de la guerre. La multiplication des systèmes autonomes de même que les systèmes de communication intégrés ont profondément modifié la dynamique du champ de bataille, et la prolifération des moyens spatiaux n’a fait qu’accentuer cette tendance. Bien que souvent désavantagées par le nombre, les forces ukrainiennes sont parvenues avec brio à intégrer innovation technologique et commandement et contrôle distribués et, ainsi, à briser l’asymétrie sur le champ de bataille et l’effet de nombre des forces russes dans tous les domaines – terre, air et mer.  La capacité de ces mêmes troupes à traiter rapidement l’information de manière à pouvoir repérer l’ennemi et le frapper à distance avec précision s’est également avérée décisive. 

Pour ce qui concerne l’aptitude des Alliés à conserver l’avantage technologique dans le cadre de la défense et de la dissuasion du futur, les experts ont notamment mis en exergue les technologies appelant des investissements immédiats de la part des gouvernements (technologies « sprint »), et les technologies issues de simples adaptations aux innovations en cours de développement sur le marché (technologies « follow »). Parmi les technologies « sprint », ils ont mentionné les systèmes de communication protégés multicouches essentiels à l’intégration interarmées, dont la réalisation passe forcément par des moyens spatiaux avancés eux aussi protégés et multicouches.

    L’espace, un domaine de plus en plus vital

La visite de la délégation au commandant spatial des États-Unis à Colorado Springs a fait ressortir l’importance de plus en plus déterminante du domaine spatial pour les Alliés. L’influence des moyens spatiaux multicouches alliés sur chaque facette de notre vie, de l’économie à la défense, est telle qu’on ne peut la sous-estimer.

Malheureusement, à l’heure où les adversaires en présence cherchent à le militariser, l’espace apparaît comme un environnement de plus en plus encombré, concurrentiel et disputé. La Russie et la Chine, ont averti les intervenants rencontrés, s’emploient toutes deux à montrer qu’elles ont les moyens de mettre en péril les moyens spatiaux des Alliés, poussant ainsi le niveau de la menace dans l’espace à des niveaux sans précédent. Le département de la Défense des États-Unis a fait du commandement spatial son 11e commandement de combat, la priorité étant de permettre aux forces armées américaines de mener des opérations conjointes dans tous les domaines. Le Commandement entend aussi promouvoir la coopération avec les Alliés et les partenaires.

 Les défis stratégiques se profilant à l’horizon  

La complexité croissante de l’environnement sécuritaire international auquel sont confrontés les Alliés fait sentir ses effets sur tous les domaines où se livre la guerre, et représente un défi pour les sociétés démocratiques sur lesquelles repose la prospérité des États membres de l’OTAN. Selon les experts et les responsables rencontrés, la remise en question par la Russie de la vision alliée de la paix et de la sécurité dans la zone euro atlantique est non seulement bien réelle et interpellante, mais a également peu de chances de disparaître en cas de défaite russe en Ukraine. La Russie affiche sans détours l’hostilité que lui inspire l’ordre international basé sur des règles, et dispose d’un vaste arsenal de moyens pour demeurer une menace importante au regard de la sécurité euro atlantique. En témoignent son action perturbatrice poussée en zones grises, lesquelles vont de l’ingérence dans le cadre d’élections à des coups de poker avec les forces alliées, sans oublier sa rhétorique nucléaire brutale et, tout dernièrement, la décision de Moscou de suspendre sa participation au nouveau traité START, seul traité de maîtrise des armements nucléaires qui subsistait encore entre les États-Unis et la Russie.

En suspendant sa participation au nouveau traité START, et en fragilisant ainsi la stabilité stratégique, Moscou reste fidèle à sa ligne de conduite consistant à violer les traités de maîtrise des armements ou à les appliquer de façon sélective. Les responsables rencontrés ont fermement rappelé que la Russie ne tirerait aucun avantage stratégique de cette suspension, et ont souligné par ailleurs qu’une solution pouvait être trouvée à tous les problèmes que le traité pourrait soi-disant poser à la Russie – à condition toutefois que Moscou opte pour un retour à la prévisibilité et à la transparence.

Non content d’embourber ses forces dans une guerre d’usure éprouvante en Ukraine, Moscou s’est mis à la recherche de moyens censés lui permettre de poursuivre le combat, voire de l’emporter. À cet égard, il convient de suivre de près son partenariat stratégique de plus en plus poussé avec Pékin. Tandis que ses forces armées se retrouvent au tapis en Ukraine, il est clair que la Russie courtise aujourd’hui la Chine dans l’espoir de recompléter son arsenal de systèmes d’armes et de munitions.  Certes, elle n’y est pas encore parvenue mais si ce devait être le cas, il en résulterait une nouvelle donne sur le terrain en Ukraine, et la Chine paierait le prix fort, sur les plans diplomatique et économique, d’une telle erreur stratégique.

    Adapter de toute urgence, dès aujourd’hui, la base industrielle de défense

Tant les responsables que les experts rencontrés ont rappelé à la délégation que le défi pesant sur la base industrielle de défense des Alliés dépassait le champ de l’évolution technologique future : il s’agit également de se donner suffisamment de moyens pour, dès aujourd’hui, réapprovisionner les forces armées ukrainiennes et recompléter leurs stocks stratégiques nationaux. Comme rappelé par plusieurs intervenants, le rythme de tir actuel de l’artillerie ukrainienne dépasse les 150 000 obus par mois, soit l’équivalent de la production annuelle d’obus des États-Unis. Au début de la guerre, en deux semaines environ, l’Ukraine a tiré l’équivalent de la production annuelle de missiles antichar Javelin. Alors que l’accélération de la production d’obus de 155 mm devant appuyer les efforts de défense de l’Ukraine suppose que l’on revoie à la hausse la production des usines établies aux États-Unis et en Europe, il faudra aussi, dans le cas des armes plus complexes comme les missiles Javelin, disposer de plus de temps et mettre en place des chaînes d’approvisionnement adaptées aux moteurs de fusée technologiquement plus sophistiqués ainsi qu’aux quelque 250 microprocesseurs équipant chaque missile.   


Photos gracieusement fournie par la commandement des forces des États-Unis pour les opérations spatiales (SpOC)
© Commandement allié Transformation de l'OTAN

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