À Ljubljana et à Zagreb, les parlementaires de l’OTAN ont eu l’occasion de commémorer respectivement les 20 ans et les 15 ans de l’adhésion à l’OTAN de la Slovénie et de la Croatie. Ces adhésions, suivies par après par celles du Monténégro et de la Macédoine du Nord, ont démontré que des démocraties plus fortes dans les Balkans occidentaux pouvaient résoudre des différends entre pays frontaliers, intégrer les institutions euro-atlantiques et contribuer positivement à la sécurité et à la prospérité de la région.
Toutefois, ces accomplissements ne sont pas le reflet de toute l’histoire actuelle des Balkans occidentaux. En dépit de l’attention concertée de la communauté internationale depuis les guerres en Bosnie et au Kosovo, des questions litigieuses subsistent concernant le tracé des frontières et les droits des minorités. Si tous les pays des Balkans occidentaux se tournent vers l’Ouest pour envisager leur avenir, une divergence est apparue entre ceux dont l’intégration s’est bien passée, comme la Slovénie, la Croatie, le Monténégro et la Macédoine du Nord, et ceux pour lesquels le processus s’est avéré plus difficile, comme la Bosnie Herzégovine (BiH), la Serbie et le Kosovo.
Afin de mieux comprendre l’environnement politique et de sécurité complexe et évolutif des Balkans occidentaux, la sous-commission sur la coopération transatlantique en matière de défense et de sécurité de la commission de la défense et de la sécurité (DSCTC) de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) s’est rendue à Ljubljana, en Slovénie, à Zagreb et Split, en Croatie, et à Podgorica, au Monténégro, du 8 au 12 avril 2024. Fernando Gutierrez (Espagne), vice-président de la DSCTC, menait cette délégation qui représentait dix parlements alliés.
Un moment décisif pour l’Alliance : les contributions régionales à la défense collective de l’OTAN
Tout au long de cette visite, la délégation a entendu l’appel retentissant adressé à tous les Alliés pour qu’ils présentent un front fort et unifié lors du prochain sommet en juillet. Chacun a noté que ce sommet historique venait au bon moment et au bon endroit, pour réaffirmer un engagement à œuvrer ensemble en vue de défendre des valeurs démocratiques communes si précieuses aux yeux de la population d’1 milliard de citoyens. Le défi que représente manifestement la Russie pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique constitue un test pour la détermination des Alliés, et chacun d’entre eux doit jouer pleinement son rôle pour prouver que l’OTAN reste le défenseur incontesté de l’ordre international fondé sur des règles.
Au cours de la visite, les délégués ont largement évoqué l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie et les enseignements militaires et politiques préliminaires à en tirer pour les Alliés. Un expert croate a souligné que, compte tenu de l’évolution rapide de la guerre, les Alliés devront rester innovants, souples et adaptables pour conserver leur avance technologique sur leurs adversaires. La supériorité sur les futurs champs de bataille dépendra de la façon dont les armées combinent les systèmes existants et les moyens de guerre traditionnels avec les nouvelles technologies et les capacités.
La volonté politique forte et soutenue de rester solidaire de la lutte légitime de l’Ukraine pour la liberté doit également rester une priorité. Tout au long de la visite, les dirigeants comme les experts ont souligné l’histoire singulière des Balkans, marquée par les guerres pour s’opposer aux notions anachroniques de sphères d’influence régionales.
Face à l’escalade de l’agression militaire russe en Europe, les Alliés des Balkans occidentaux se sont révélés comme des atouts précieux pour les efforts de l’OTAN visant à adapter leur posture de dissuasion et de défense collective. Chaque Allié a souligné sa contribution à la présence militaire renforcée et adaptée de l’Alliance sur le flanc oriental, notamment par le biais des groupements tactiques multinationaux de l’OTAN en Bulgarie, en Hongrie, en Lettonie, en Pologne, en Roumanie et en Slovaquie. Comme l’ont fait remarquer les interlocuteurs régionaux, en plus de s’efforcer d’être des points d’ancrage de la stabilité régionale, ils s’emploient également, dans la mesure du possible, à contribuer à la mission de défense collective plus large des Alliés dans la zone euro-atlantique, ainsi qu’aux missions et opérations visant à promouvoir la paix et la stabilité à l’étranger.
Lors de réunions avec le personnel militaire à la caserne Baron Andrej Čehovin, les membres du DSCTC ont été informés de la position charnière importante occupée par la Slovénie entre l’Adriatique et l’Europe centrale. Les commandants ont particulièrement insisté sur la participation des forces armées slovènes (SAF) aux exercices et opérations de l’OTAN ainsi qu’à leurs efforts récents pour contribuer à la formation des soldats ukrainiens.
La délégation a également obtenu un aperçu de l’industrie de défense en plein essor de la Slovénie. Les visites des entreprises slovènes C-Astral et Guardiaris ont permis d’attester des efforts des entrepreneurs slovènes pour faire progresser la conception et l’impact des drones et des simulateurs d’entraînement. Chacun se fait un nom dans les domaines déjà très actifs de la recherche et de l’investissement dans le secteur de la défense.
En Croatie, les responsables du ministère de la défense et les commandants des forces armées ont souligné la forte contribution du pays aux trois tâches fondamentales de l’OTAN, les soldats croates participant à la présence avancée rehaussée (eFP) de l’OTAN en Hongrie et en Pologne, à l’opération Sea Guardian en Méditerranée et à la mission OTAN de formation en Iraq (NTM-I). Les parlementaires ont également rencontré des représentants de l’industrie de la défense croate et ont discuté de la manière dont les entreprises croates tirent parti des fonds de l’UE et de l’OTAN pour renforcer la capacité de production industrielle de défense afin de répondre à la demande croissante du marché à la suite de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie.
Les représentants du Monténégro ont expliqué à la délégation que, bien que modeste (à la fois sur le plan géographique et en termes de population), le pays contribue de manière disproportionnée à la sécurité des Alliés. La politique étrangère du Monténégro se concentre sur l’accélération de son intégration à l’UE, le pays ayant ouvert l’ensemble des 33 chapitres examinés après huit ans de négociations d’adhésion, soutenant l’OTAN et servant d’interlocuteur de confiance parmi les États de la région pour négocier la paix et la stabilité. Conformément à ces deux derniers piliers, les dépenses de défense du Monténégro ont atteint cette année l’objectif de 2 % du PIB fixé par l’OTAN, tandis que ses forces contribuent à la NTM-I, à la Force pour le Kosovo (KFOR) et aux groupements tactiques multinationaux en Lettonie et en Bulgarie.
Une intégration euro-atlantique à différentes vitesses
Depuis les guerres de Yougoslavie dévastatrices des années 1990, les pays des Balkans occidentaux ont réalisé des progrès variables dans leurs transitions économiques, politiques et sécuritaires. La Croatie et la Slovénie, pleinement intégrées dans la communauté euro atlantique en tant que membres à part entière de l’Union européenne (UE) et de l’OTAN, sont de véritables réussites régionales. Par ailleurs, le Monténégro et la Macédoine du Nord ont rejoint l’Alliance en 2017 et 2019 respectivement et sont en bonne voie pour adhérer à l’UE au cours de cette décennie.
Une série d’événements violents survenus en 2023, culminant avec une attaque paramilitaire menée contre la police du Kosovo dans le nord du pays, a toutefois recentré l’attention des Alliés de l’OTAN sur les Balkans occidentaux. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie a encore renforcé certaines inquiétudes quant à la possibilité d’une propagation du conflit ou d’une déstabilisation régionale par l’influence du Kremlin. En réponse, l’OTAN et l’UE ont revu et adapté leurs postures de force au Kosovo ainsi qu’en Bosnie-Herzégovine et exercent une pression politique renouvelée sur les dirigeants de la région pour qu’ils règlent les différends historiques et se concentrent sur leur objectif commun d’une intégration euro atlantique plus étroite.
En Bosnie-Herzégovine, les accords de paix de Dayton ont préservé une relative stabilité depuis la guerre de Bosnie, mais le contexte politique du pays est mis à rude épreuve en raison d’une dangereuse paralysie politique et d’un dysfonctionnement de l’État. En Republika Srpska, où les Serbes sont majoritaires, le leader nationaliste serbe Milorad Dodik a recours à une rhétorique sécessionniste (souvent violente) pour servir ses propres ambitions politiques, en s’appuyant sur le mécontentement des dirigeants politiques serbes quant à la représentation de l’ethnie serbe dans la région en dehors de la Serbie. M. Dodik cherche également à resserrer les liens avec le président russe Vladimir Poutine, allant jusqu’à lui remettre l’Ordre de la Republika Srpska, la plus haute distinction de la République.
Belgrade et Pristina, quant à elles, sont dans une impasse pour ce qui est du processus de normalisation de leurs relations. La Serbie continue, dans la mesure du possible, de bloquer la reconnaissance du Kosovo à l’échelle internationale, et le Kosovo doit encore finaliser le déploiement de l’Association des municipalités à majorité serbe (ZSO), qui garantirait aux municipalités serbes du nord du Kosovo le degré d’autonomie dont elles souhaitent disposer. Le dialogue de haut niveau Belgrade-Pristina facilité par l’UE a permis de réaliser un certain nombre d’avancées techniques sur le terrain dans le nord du Kosovo et entre les deux gouvernements, mais n’a toujours pas atteint son objectif ultime, à savoir la mise en place d’un accord de normalisation global et juridiquement contraignant entre le Kosovo et la Serbie.
En l’absence de normalisation, la sécurité sur le terrain s’est rapidement détériorée. En mai 2023, 93 membres du personnel de la KFOR ont été blessés lors de manifestations violentes et, quelques mois plus tard, en septembre, une attaque paramilitaire menée par des tireurs serbes contre la police du Kosovo s’est soldée par la mort d’un officier et de trois assaillants. Une importante cache d’armes capables d’infliger des dommages importants et de faire de nombreuses victimes – notamment des lance-roquettes antichars, des mortiers et des lance-grenades, des mines antichars et 24 véhicules (dont un blindé) – découverte à proximité des lieux de l’incident a suscité des inquiétudes quant à l’ampleur et la portée de l’opération ratée. En réponse à ces incidents et pour éviter toute nouvelle escalade de la violence, l’OTAN a renforcé et modifié les dispositions de sa mission KFOR, notamment en déployant 800 soldats supplémentaires et un matériel de guerre plus lourd.
Tout au long de la visite, des décideurs politiques et militaires de haut niveau ont expliqué à la délégation les causes profondes et les moteurs actuels des défis régionaux en matière de sécurité, de politique et d’économie. Tous se sont accordés à dire que l’ingérence extérieure, notamment les campagnes de désinformation, a exacerbé ces défis en créant des dissensions artificielles, en suscitant la méfiance et en insufflant aux dirigeants locaux des idées nationalistes dangereuses. La Russie, qui entretient de longue date des liens avec les communautés slaves et orthodoxes de l’Est dans les Balkans occidentaux, use de la désinformation dans la région pour manipuler des personnalités politiques régionales potentiellement favorables à la cause de l’Alliance. La Russie s’efforce d’utiliser ses derniers leviers d’influence régionaux pour bloquer la poursuite de l’intégration euro-atlantique de la région et pour détourner l’attention des Alliés et de l’Europe de la guerre en Ukraine.
La délégation a appris que la Chine affirme également de plus en plus son influence dans la région, principalement par le biais d’investissements économiques et de prêts via l’initiative « nouvelles routes de la soie » (ou Belt and Road Initiative, BRI) qui, ont souligné les interlocuteurs régionaux, a créé des cycles de dépendance à l’égard de la dette et a fait apparaître des pratiques autoritaires partout où des accords ont été conclus dans le cadre de la BRI. Toutefois, la coopération entre la Chine et la région ne se limite pas au commerce et aux investissements dans les infrastructures. La Chine est récemment devenue le premier fournisseur d’armes de la Serbie, Belgrade ayant acquis des systèmes de missiles sol-air HQ 22 et des drones armés CH-92, ce qui en fait le premier opérateur de systèmes d’armes chinois en Europe.
L’ancien président de la Slovénie, Borut Pahor, a déclaré aux parlementaires de l’OTAN que la pleine intégration à l’UE et à l’OTAN était tout simplement le meilleur moyen de résoudre les problèmes de la région. À cet égard, la récente décision de la Commission européenne d’entamer les négociations d’adhésion avec la Bosnie-Herzégovine, ainsi que les progrès réalisés par le Monténégro pour satisfaire aux critères d’adhésion, représentent des évolutions prometteuses.
Un soutien indéfectible à l’Ukraine
Les Alliés situés dans les Balkans occidentaux sont familiers avec les habitudes d’ingérence de la Russie dans leurs politiques intérieures et ressentent l’impact déstabilisant de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Aussi, en plus de renouveler leurs efforts pour contrecarrer l’influence et l’ingérence de la Russie dans la région, ils ont décidé de relever le défi en offrant un soutien politique, économique et militaire à l’Ukraine.
En tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU pour le mandat 2024 2025, la Slovénie fait systématiquement entendre sa voix pour soutenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Parallèlement, elle défend la politique de la porte ouverte de l’OTAN et plaide en faveur de l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance à terme. Pour appuyer ces positions, la Slovénie s’est récemment engagée à soutenir financièrement l’initiative tchèque visant à organiser l’achat d’un million d’obus d’artillerie pour l’Ukraine.
La Croatie est un leader régional en termes d’aide à l’Ukraine, mettant plus de 1 % de son PIB à disposition de l’Ukraine de manière bilatérale et par l’intermédiaire de l’UE. L’an dernier, le pays a aussi fait don d’hélicoptères MI-18 aux forces armées ukrainiennes. Le Monténégro, pour sa part, est un fervent défenseur de la légitime défense de l’Ukraine : son parlement a été l’un des premiers à adopter une résolution condamnant l’invasion et s’est pleinement aligné sur les sanctions européennes à l’encontre de la Russie, démarche d’autant plus louable qu’elle a entraîné des pertes économiques importantes pour son industrie touristique. De plus, le Monténégro fait partie des pays qui accueillent le plus de réfugiés ukrainiens par habitant.
Photos de la visite