Au Japon, coopération avec l’OTAN et répercussions de la guerre en Ukraine au cœur des débats lors d’une visite de parlementaires

30 septembre 2022

Photos de la visite


Une délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) s’est rendue au Japon du 19 au 23 septembre pour évaluer la coopération toujours plus étroite du pays et de l’Alliance, notamment dans le domaine des sciences et technologies (S&T), ainsi que ses priorités plus larges en matière de sécurité et de défense.

Au cours de la semaine, les membres de la commission des sciences et des technologies (STC) se sont entretenus avec plusieurs hauts responsables japonais. Ils ont également visité différents centres de recherches pour faire le point sur un large éventail de questions liées à la technologie, la sécurité, l’économie et l’environnement. La délégation comptait 15 députés nationaux de 13 pays membres de l’OTAN et était dirigée par le président de la STC, Kevan Jones (Royaume-Uni). Parmi les thèmes à l’ordre du jour figuraient les défis en matière de sécurité en Asie de l’Est, l’évolution des relations Japon-OTAN, les technologies de rupture et les conséquences du changement climatique sur le plan de la sécurité.

Kenji Yamada, ministre d’État aux affaires étrangères, a notamment souligné la nécessité d’œuvrer en faveur d’une région indopacifique libre et ouverte, la situation sécuritaire étant devenue de plus en plus préoccupante dans les pays limitrophes. Or, à l’inverse de l’Europe, il n’existe pas de mécanisme régional en matière de sécurité dans cette zone du globe. Les mutations dans l’équilibre des forces s’accélèrent et se complexifient, exacerbant encore le sentiment d’incertitude qui plane sur l’ordre établi. Par ailleurs, l’évolution rapide de nouveaux domaines dans le cadre des guerres contemporaines, tels que l’espace et le cyberspace, contribue à ce bouleversement. Par conséquent, le Japon a décidé d’axer ses priorités sur le développement de ses moyens militaires - une stratégie qui met davantage l’accent sur le déploiement de forces armées multidisciplinaires, selon le ministère de la défense.

Le Japon, dont la politique de sécurité est exclusivement axée sur la défense, esquisse actuellement une nouvelle stratégie nationale et envisage une augmentation substantielle de ses dépenses de défense. De même, les autorités examinent les possibilités de développer des capacités de contre-offensive. Elles prévoient de renforcer leurs capacités de défense à distance, leurs équipements autonomes et leurs capacités intersectorielles. Toutefois, la politique de défense du pays s’appuie encore sur trois piliers : son architecture nationale de défense, son alliance avec les États-Unis et sa coopération en matière de sécurité avec des partenaires qui partagent la même optique. 

Selon plusieurs hauts responsables japonais, dont le ministre de la défense, Yasukazu Hamada, les évènements récents démontrent que « la sécurité de l’Europe est indissociable de celle de l’Asie du Nord-Est ». D’autres membres de la sphère politique ont mis en avant la participation du premier ministre japonais, Fumio Kishida, au sommet de l’OTAN à Madrid fin juin 2022 et souligné à plusieurs reprises que le pays était prêt à renforcer sa coopération avec l’Alliance. Insistant sur ce point, des intervenants ont indiqué à la délégation que le Japon réfléchit à la possibilité de transformer sa mission auprès de l’OTAN en un organe independent, doté de son propre ambassadeur. En outre, ils ont indiqué que deux navires de la force maritime d’autodéfense japonaise (JMSDF) avaient récemment participé à un exercice collectif avec l’OTAN au large de la mer Méditerranée. Masaki Ikegami, directeur général adjoint du Bureau des affaires européennes au sein du ministère des affaires étrangères, et les membres de la délégation de l’AP-OTAN, ont tous salué l'intention affichée de reconduire le programme individuel de partenariat et de coopération (IPCP), qui trace les lignes directrices de la coopération entre le Japon et l’OTAN. Les représentants ministériels ont salué la présence accrue de l’Alliance dans la région, un souhait réitéré lors des réunions d’information organisées par les forces armées des États-Unis au Japon (USFJ) au cours de la visite de la base aérienne de Yokota.

Le Japon chercherait en outre à renforcer sa coopération en matière de sciences et technologies (S&T). « Nous souhaitons élargir nos activités avec l’OTAN », a souligné Shigenori Mishima, commissaire adjoint et scientifique en chef en technologie à l’agence pour l’acquisition, la technologie et la logistique (ATLA). Mettant l’accent sur le fait que l’usage de technologies civiles à des fins militaires pourrait profondément changer les capacités de combat à l’avenir, le représentant a déclaré que des écarts technologiques pouvaient définir l’issue d’un combat et que les innovations dans le domaine des combats s’était accélérée en raison de la rapidité des progrès technologiques. Selon lui, il est donc nécessaire d’investir et de préserver les technologies qui sont essentielles pour l’avenir de la défense japonaise.

Les répercussions de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine sur le Japon - et la sécurité en Asie de l’Est - figuraient également au programme de cette visite. Les intervenants japonais ont condamné la tentative du Kremlin de faire évoluer la situation par la force et indiqué que « l’agression de la Russie ébranl[ait] les fondements mêmes de l’ordre international ». Des discussions ont eu lieu avec des experts indépendants sur le fait qu'un éventuel succès de la Russie en Ukraine pourrait renforcer la conviction que n’importe quel acteur qui tenterait de bouleverser un statu quo pourrait y parvenir en choisissant de le faire par la force. Par conséquent, il est important d'agir de concert en coordonnant nos politiques et en faisant preuve de détermination afin de prévenir toute agression potentielle en Asie, a entendu la délégation. 

La Chine renforce rapidement ses capacités militaires, notamment ses défenses maritimes et aériennes. Pékin investit également fortement dans de nouveaux secteurs, comme l’espace, le cyberespace et la guerre électronique. Dans ce contexte, le Japon se montre particulièrement inquiet vis-à-vis de la rhétorique de plus en plus belliqueuse de Pékin et de ses provocations. Des membres du ministère japonais de la défense ont indiqué que la Chine n’avait pas explicitement renoncé au recours à la force pour prendre le contrôle de Taïwan, tout en expliquant que l’équilibre militaire entre Taïwan et Pékin était devenu plus avantageux pour le pouvoir chinois. Ils ont fait valoir que la paix et la stabilité dans le détroit de Taiwan sont importantes pour la stabilité de la communauté internationale. Il est donc primordial d’accorder une attention toute particulière aux évènements qui se déroulent dans la région.

L'exercice militaire à grande échelle de la Russie, appelé "Vostok 2022", qui s'est déroulé peu de temps avant la visite en Extrême-Orient et auquel s'est joint  la Chine, témoigne de ces tensions. Une coopération militaire renforcée entre Pékin et Moscou en Asie du Nord-Est a, certes, des conséquences directes sur le Japon, mais elle peut aussi avoir des répercussions stratégiques sur les États-Unis et l’Europe. Elle devrait donc être suivie avec vigilance, ont indiqué les autorités japonaises aux membres de la délégation.

Les intervenants du ministère des affaires étrangères et du ministère de la défense ont souligné la persistance de la menace grave et imminente pour la sécurité du Japon posée par la Corée du Nord, qui sape la stabilité de la région. À l’heure actuelle, Pyongyang a déjà réalisé six tests nucléaires et continue de développer ses missiles balistiques à une très grande vitesse. Et selon plusieurs intervenants japonais, il est probable que la Corée du Nord multiplie ses provocations. 

Dans un autre registre, les technologies émergentes et de rupture comme l’intelligence artificielle (IA), l’informatique quantique, les métadonnées et la biotechnologie « transforment fondamentalement l’état actuel de la sécurité dans le monde entier », a appuyé Hirokazu Hokazono, conseiller principal à l’Institute of Future Engineering. Le caractère opportun de cette visite parlementaire a été souligné alors que le gouvernement japonais s’était justement fixé comme objectif d’identifier les technologies émergentes et de rupture essentielles pour le pays en vue de garantir la sécurité nationale, la croissance économique et la prospérité d’ici la fin du mois de septembre 2022. Divers interlocuteurs japonais, notamment M. Hokazono et M. Mishima, ont souligné toute l’importance de la coopération entre le Japon et les pays de l’Alliance ou encore ceux qui nourrissent les mêmes idéaux ; des pays qui partagent des valeurs communes et respectent l’État de droit non seulement en élaborant et protégeant des technologies stratégiquement importantes, mais aussi en établissant une réglementation en faveur d’un cadre international approprié.

Parmi les moments forts de la semaine figurait la rencontre avec Hiroyuki Hosoda, président de la Chambre des représentants du Japon, ainsi que des discussions intensives avec les membres du Conseil pour la sécurité globale de la Diète japonaise sur plusieurs thématiques en matière de politique, de sécurité, d’économie et d’environnement. Celui-ci fait également office de délégation japonaise auprès de l’AP-OTAN. Le Japon est en effet partenaire de l’AP-OTAN depuis 1982 et dispose d’un statut d’observateur parlementaire, qui permet aux membres de la Diète de participer régulièrement à certaines réunions de l’Assemblée. 

La délégation s’est également rendue au Naval Systems Research Center, qui œuvre au développement de véhicules sous-marins autonomes et à l’amélioration des caractéristiques de furtivité des sous marins, entre autres. Les conférences au Toshiba’s Corporate Research and Development Center, un centre de recherches en première ligne du développement de technologies de pointe, ont donné aux parlementaires de l’OTAN une précieuse idée des dernières avancées réalisées dans les domaines de la technologie quantique, des appareils électriques de prochaine génération et de l’IA.
Cette semaine de visite avait débuté avec une série de briefings organisés par le bureau de la Konrad Adenauer Stiftung à Tokyo, dont les experts avaient donné un aperçu du paysage de sécurité à l’échelle régionale aux membres de la délégation. 

Enfin, des visites organisées aux terminaux d’APM et de l’aéroport international Narita ont permis d’examiner les nombreux défis rencontrés par les chaînes d’approvisionnement et les solutions envisagées pour y remédier. L’aéroport reste essentiel pour assurer les exportations des semiconducteurs japonais et des machines de production, alors que les terminaux APM jouent un rôle majeur pour ce qui est du commerce maritime, selon le PDG d’APM Terminals, Sakura Kuma. Les répercussions du changement climatique sur la conception et les activités futures des ports ont également été abordés à cette occasion. 
 

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