Cette semaine, une délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN s’est déplacée aux États-Unis pour de larges consultations autour de quelques-uns des enjeux majeurs sur le plan de la sécurité transatlantique. La nécessité de sauvegarder et de consolider la démocratie face à des menaces intérieures et extérieures toujours plus lourdes figurait ainsi en tête de l’ordre du jour des travaux, auxquels ont pris part des législateurs issus de 12 pays alliés.
S’adressant à la délégation le mercredi 27 octobre, le président de l’AP-OTAN, Gerald E. Connolly, a observé que « L’Alliance entr[ait] dans une période charnière marquée par un regain des rivalités géostratégiques ». Au moment même où l’OTAN se prépare à intégrer cette nouvelle réalité dans le principal document directeur de l’Alliance – à savoir le concept stratégique, dont les chefs d’État et de gouvernement des pays alliés doivent adopter la prochaine version lors d’un sommet qui se tiendra en Espagne au mois de juin 2022 –, M. Connolly a donc instamment invité ses collègues à « renforcer l’OTAN en tant qu’alliance de démocraties en plaçant les valeurs communes à ses membres au cœur même de sa réponse aux défis contemporains ». À cet égard, l’Assemblée recommande la création au siège de l’OTAN d’un centre pour la résilience démocratique qui matérialiserait l’attachement de l’Organisation à ces valeurs communes. Une telle structure permettrait notamment de recueillir les meilleures pratiques connues en la matière et servirait à une fertilisation croisée des normes démocratiques.
La consolidation de la démocratie occupait également une place de choix dans les discussions entre la délégation, des responsables de l’administration américaine et des spécialistes. Suzanne Spaulding, conseillère principale au Centre d’études stratégiques et internationales, a ainsi expliqué que le renforcement de la sécurité nationale et collective exigeait dès aujourd’hui un effort soutenu au profit de la résilience sociétale, compte tenu des campagnes de désinformation menées par des acteurs intérieurs et internationaux, véritables ennemis de la démocratie.
Mme Spaulding a lancé une mise en garde : ces adversaires – qu’il s’agisse d’États ou de mouvements antidémocratiques internes – ont pour but de saper la légitimité des pouvoirs publics et les mécanismes de la gouvernance démocratique. Cette volonté est manifeste dans les velléités russes d’influer sur l’élection présidentielle américaine de 2016 comme dans l’attaque contre le Congrès américain du 6 janvier dernier. Dans les deux cas, l’objectif était de susciter un puissant sentiment de défiance à l’encontre des États-Unis et de leurs institutions et de répandre l’idée que la démocratie elle-même était un jeu truqué qui ne servait que les intérêts d’une petite élite. « Une société post vérité incite les gens à la méfiance envers l’information et les faits ; or la démocratie a précisément besoin de confiance », a rappelé l’intervenante, avant d’ajouter en conclusion que les démocraties devaient riposter en mettant la vérité en lumière, en s’opposant résolument à la désinformation, en revitalisant l’éducation civique et en résistant à la tentation de l’opacité.
Les activités inscrites au programme de cette visite d’une semaine reflétaient la complexité des problèmes transnationaux qui se posent actuellement aux pays alliés : aux menaces militaires habituelles sont venus s’ajouter le changement climatique, le terrorisme, les cyberattaques, la désinformation, les pandémies et des États rivaux partisans de l’autoritarisme qui entendent miner les démocraties pour conserver leur mainmise sur leurs propres sociétés. L’OTAN doit s’adapter à ces mutations, ce qui plaide en faveur d’une révision du concept stratégique.
Le défi grandissant que la Chine représente pour la sécurité des États-Unis et des autres pays alliés est sans doute la plus importante de ces mutations. La question a été longuement traitée tout au long des réunions organisées pour la délégation. L’un des interlocuteurs de celle-ci a fait remarquer que la Chine d’aujourd’hui n’était pas la Chine des années 1990. Vingt ans plus tôt, nombreux étaient les gouvernements occidentaux à croire que la libéralisation économique du pays déboucherait inéluctablement sur une société plus ouverte et plus encline au pluralisme. Cela ne s’est malheureusement pas produit. Aussi les États-Unis, les autres pays alliés et leurs partenaires doivent ils demeurer vigilants face à la menace croissante d’une Chine nettement plus autoritaire et agressive.
L’administration Biden, a-t-il été indiqué à la délégation, continue à se focaliser intensément sur cette menace particulière et souhaite qu’en partenariat avec les autres Alliés, les États-Unis modèlent par anticipation l’espace mondial, plutôt que de laisser ce rôle à Pékin. Parallèlement, les pays alliés doivent partir de l’hypothèse selon laquelle les relations avec la Chine conserveront un caractère tout à la fois concurrentiel, coopératif et conflictuel. Il convient donc ici d’adopter une politique diversifiée et toute en subtilité concernant une vaste série de sujets allant du bassin Indo-Pacifique à la cybersécurité, en passant par les échanges commerciaux stratégiques, la politique spatiale et le changement climatique.
Autre sujet de préoccupation : la menace de prolifération et, plus spécifiquement, les tentatives visant à ranimer le Plan d’action global conjoint (JCPOA). Pour Suzanne Maloney, de la Brookings Institution, ces tentatives sont annihilées par un climat de méfiance généralisé et le moment se rapproche où il deviendra impossible d’empêcher Téhéran de franchir le seuil nucléaire. La Chine, ici encore, est impliquée, puisqu’elle est prête à contourner les sanctions internationales pour continuer à acheter du pétrole à l’Iran, offrant ainsi une bulle d’oxygène à l’économie de ce pays, ce qui dispense les Iraniens de parvenir à un accord.
À Washington, la délégation, conduite par Ivans Klementjevs (Lettonie) et Muhammet Naci Cinisli (Turquie), et qui comptait 36 membres des sous-commissions sur les relations économiques transatlantiques et sur la résilience et la sécurité civile, a également rencontré des responsables du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, avant de gagner New York. Après un passage au mémorial du 11 septembre, où elle a rendu hommage aux victimes des attentats en 2001, elle a assisté à des réunions à l’ONU, au siège de la police new-yorkaise et au Watch Command/Emergency Operations Center du Bureau de gestion des situations d’urgence de la ville de New York.
Cette visite a marqué la reprise en présentiel des visites d’étude des commissions de l’Assemblée, suspendues en raison de la pandémie depuis plus d’un an et demi.