Défis émanant de la Russie, de la Chine, des technologies nouvelles et du changement climatique : une perspective californienne

06 octobre 2022

Les menaces que la Russie et la Chine font peser sur l’ordre sécuritaire mondial sont innombrables, mais les parades à ces menaces demandent des méthodes très différentes les unes des autres. La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a suscité une réaction transatlantique collective qui s’est traduite par un soutien substantiel à l’Ukraine et par des sanctions encore plus dures à l’encontre de Moscou. En revanche, le problème posé par la Chine est plus complexe et un débat intense se déroule en ce moment entre les États-Unis et l’Europe autour de la meilleure façon de le gérer. 

La formulation de perspectives à long terme pour faire face à un paysage stratégique en mutation rapide était un thème central des discussions qu’une délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN a eues durant son séjour dans la région de la baie de San Francisco et de San Diego, du 26 au 30 septembre derniers. La visite de cette délégation conjointe de parlementaires en Californie a coïncidé avec le début d’une contre-offensive ukrainienne en direction des provinces du sud et de l’est, occupées par les forces russes. La délégation était conduite par Ivans Klementjevs (Lettonie) et Lord Hamilton of Epsom (Royaume-Uni), présidents respectifs de la sous-commission sur les relations économiques transatlantiques et de la sous-commission sur les relations transatlantiques.

À l’Université Stanford, Michael McFaul, directeur du Freeman Spogli Institute for International Studies (FSI), Condoleezza Rice, directrice de la Hoover Institution on War, Revolution and Peace, et d’autres personnalités de ces deux établissements ont évoqué le contexte international plus large dans lequel s’inscrivait la guerre en Ukraine.

Les interlocuteurs de la délégation ont mis celle-ci en garde : si la contre-offensive ukrainienne a fait apparaître de profondes failles dans le régime de M. Poutine, l’Ouest ne doit pas s’attendre à une révolution démocratique imminente en Russie. Même en cas de renversement du chef de l’État, le problème posé par ce pays perdurerait vraisemblablement. Les décideurs occidentaux ont été instamment priés de continuer à veiller à ce que l’Ukraine l’emporte en lui fournissant un soutien et une formation militaires substantiels.

La guerre en Ukraine a aussi convoqué le spectre d’un éventuel recours à l’arme nucléaire. Selon des membres du corps enseignant de Stanford, une réflexion sérieuse sur le dispositif de dissuasion occidental s’impose au vu des propos de M. Poutine sur le déploiement et l’utilisation d’armes nucléaires dans le conflit en cours, sans compter qu’il ne faut pas sous estimer la capacité du président russe de prendre des décisions catastrophiques.

La délégation s’est penchée sur la transformation qu’a subie l’Ukraine depuis le début de la guerre. En un sens, le conflit a contribué à l’édification d’un pays neuf, plus confiant et plus conscient que jamais de sa triple vocation occidentale, libérale et démocratique. Francis Fukuyama, chercheur principal Olivier Nomellini au FSI, a estimé que les succès remportés sur le champ de bataille avaient transcendé les ambitions ukrainiennes. Il a fait observer que, dans tous les cas, l’Ukraine n’était pas disposée à céder une partie de son territoire à la Russie. Au Hoover Institute, un intervenant a noté que l’Ukraine était désormais prête à s’attaquer de manière plus efficace à des problèmes tels que la corruption ; le même intervenant a estimé que la transformation du pays était tout simplement surprenante.

Michael McFaul, ancien ambassadeur des États-Unis en Russie, a déclaré que M. Poutine se dirait probablement disposé à négocier si l’Ouest reconnaissait la souveraineté russe sur l’Ukraine orientale. Une telle démarche, fût-elle tacite, serait désastreuse et M. McFaul a exhorté les Alliés à se concentrer sur le soutien à l’Ukraine et aux forces démocratiques en Russie même.

La délégation s’est rendue au siège de Google, où Karan Bhatia, vice-président des affaires gouvernementales et de la politique publique de la compagnie, l’a informée de la contribution non négligeable apportée par celle-ci et par YouTube à la défense de l’Ukraine, notamment en restreignant l’aptitude du régime russe à se livrer à la désinformation et à la propagande.

Tant au Hoover Institute qu’à l’Institute of East Asian Studies (IEAS) de l’Université de Californie à Berkeley (UC Berkeley), les discussions ont porté sur la stratégie indo-pacifique des États-Unis ; elles ont mis en lumière d’intéressantes divergences de vues. Au Hoover Institute, les intervenants ont estimé que le risque d’un conflit entre les États-Unis et la Chine avait considérablement augmenté, en particulier à cause de Taiwan et de l’agressivité affichée par Pékin en Asie du Sud-Est. Si les intervenants de l’IEAS ont, eux aussi, recensé une multitude de désaccord préoccupants avec la Chine dans les domaines de la sécurité, de la technologie et de l’économie, ils n’en ont pas moins indiqué divers moyens de gérer cette rivalité en recourant à la diplomatie et en préparant l’Ouest à une concurrence de longue haleine avec Pékin. Un membre de l’IEAS a rappelé qu’à la différence de M. Poutine, Xi Jinping n’aimait pas prendre de risques et que Taiwan ne constituait pas une priorité à brève échéance pour le régime chinois. Toutefois, au Hoover Institute, plusieurs universitaires ont indiqué que les dirigeants chinois pourraient, dans un avenir proche plutôt qu’éloigné, agir de manière à contraindre les autorités de Taipei de renoncer à leur indépendance politique. Selon ces intervenants, les États-Unis et leurs alliés dans la région devraient s’employer à renforcer le dispositif de dissuasion en Extrême-Orient, ce qui pourrait passer par une consolidation de la défense en avant américaine dans cette partie du monde.

L’essor économique de la Chine ajoute une dimension supplémentaire à cette rivalité. Cependant, on relève des signes contradictoires quant à la puissance économique à long terme du pays. À la BRIE (Berkeley Roundtable of the International Economy), Laura Tyson, professeur émérite de la Graduate School, Haas School of Business, a fait remarquer à toutes fins utiles que la Chine était devenue le seul pays à se trouver sur un pied d’égalité avec les États-Unis dans le secteur de l’intelligence artificielle. À l’UC Berkeley, un intervenant a toutefois fait observer que la crise démographique chinoise s’éternisait et qu’à la différence du Japon la Chine n’était pas assez riche pour supporter les conséquences économiques d’une population déclinante. Elle restera sans aucun doute une puissance économique mondiale avec laquelle il faudra compter, mais la question est de savoir si elle sera capable d’élever sans à-coups le niveau de vie d’une plus ample couche de sa population et de concurrencer les États-Unis sur tous les plans.

Vinnie Aggarwal, professeur de sciences politiques et directrice du Berkeley Asia-Pacific Economic Cooperation Study Center, a déclaré que le retrait de Washington du Partenariat transpacifique avait créé un vide que la Chine cherchait à combler depuis lors. Mme Aggarwal a instamment invité les gouvernements occidentaux à réfléchir plus sérieusement à des accords régionaux et mondiaux en matière d’échanges et de commerce, éventuellement par l’intermédiaire de l’Organisation mondiale du commerce, l’objectif étant de promulguer un ordre économique reposant sur des règles.

À la BRIE, les discussions ont aussi porté sur l’industrie des semi-conducteurs et sur la façon dont les États-Unis et l’Europe pourraient améliorer leur coopération pour créer dans les pays occidentaux eux-mêmes une base manufacturière nationale vouée à cette technologie primordiale. 

La délégation a abordé les questions énergétiques et environnementales à l’UC Berkeley, au Laboratoire national Lawrence Berkeley (LBNL), à l’Université Stanford et à l’Institut océanographique Scripps de San Diego. Le changement climatique influe manifestement sur les calculs stratégiques et économiques de Washington, ainsi que le lui ont rappelé ses interlocuteurs, et la communauté scientifique états-unienne étudie le problème de manière exhaustive et sous de nombreux angles. Le LBNL a mis sur pied plusieurs équipes scientifiques interdisciplinaires à cet effet. L’une d’elles a examiné la possibilité de fabriquer du carburant d’aviation à partir de plantes modifiées et est parvenue à réduire notablement les coûts de production. Il s’agit désormais de convertir l’industrie à ces méthodes novatrices.

À l’Institut océanographique Scripps, la délégation a appris que le réchauffement de l’eau de mer et la modification de son indice de salinité avaient un impact spectaculaire sur la communication par sonar. Les travaux de cartographie et la surveillance menés en permanence par l’Institut fournissent aux responsables de la sécurité nationale des informations vitales sur ces phénomènes.

La délégation s’est rendue à la base navale de San Diego et a visité le USS Makin Island, un navire d’assaut amphibie de la classe Wasp. Au Naval Information Warfare Center Pacific, ses membres ont discuté de diverses technologies maritimes, dont les véhicules sous-marins sans pilote et le programme de mammifères marins.

La visite s’est conclue à l’Université de San Diego, où la délégation a pu entendre des exposés sur la politique d’immigration et de protection des frontières des États-Unis, l’importance des ressources latino-américaines pour la transition énergétique verte et la géopolitique de la région Asie-Pacifique.

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Crédits photos pour cette visite (avec leur aimable autorisation) : 
Institut océanographique Scripps, Laboratoire national Lawrence Berkeley et USS Makin Island.
 

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